N° 20. Juin 2010
Cette lettre reproduit un
« En direct » des Congrès paru dans le numéro 2 d'avril 2010 de la
Revue « Médecine Tropicale » avec l'aimable autorisation de son
auteur, le Professeur Marc Morillon, Directeur de l'Institut de Médecine
Tropicale du Service de Santé des Armées, Le Pharo, Marseille.
Elle
traite du 8e Congrès international de la Société de Pathologie
Exotique qui s'est tenu à Vientiane, RDP Lao, du 25 au 28 janvier 2010.
Le développement
récent des relations aériennes entre les îles de l'océan Indien et l'Asie du
Sud Est nous oblige à compléter nos connaissances sur la pathologie des pays
asiatiques.
« Cette réunion, organisée avec le soutien de
l'Institut francophone pour la Médecine tropicale dirigé par le Professeur Yves
Buisson s est tenue du 25 au 28 janvier 2010 et avait pour thème général
: « Les défis sanitaires de l'Asie du Sud-Est ». Elle fut
l'occasion d'une rencontre entre médecins et scientifiques français, laotiens
et de tous les pays de la région. Le thème choisi a permis d'aborder des
questions de santé originales et spécifiques à la région, plus rarement
traitées et moins bien connues que celles d'autres continents, ainsi que les
caractères régionaux des grands fléaux de la zone tropicale.
Le sida a été abordé lors de présentations venant
du Laos, du Cambodge et du Vietnam. On en retiendra que les polychimiothérapies
sont devenues la règle, y compris dans les districts de province et que
l'adhésion des patients est très bonne. Le dépistage des stades précoces reste
un problème majeur et une proportion importante des cas est identifiée aux
stades déjà très évolués de la maladie, dans un contexte d'infections
opportunistes avec une mortalité élevée. Dans la cohorte de l'hôpital Preah
Kossamak de Phnom Penh au Cambodge, 89% des patients enrôlés étaient aux stades
III et IV de l'OMS (Heng M et al). Le même phénomène est observé au Laos
dans la cohorte de l'hôpital de Savannakhet dont 90% des patients étaient aux
stades III et IV au moment de la mise sous traitement et dont 50% avaient un
chiffre de CD4 inférieur à 50/µl (Saadani AH et al). Le poids de la
toxicomanie dans les modes de contamination est aussi une des caractéristiques
de la région, singulièrement au Vietnam.
Parmi les infections
opportunistes révélatrices de l'immunodépression, l'infection
due à Penicillium marneffei est propre à la
région. Ce champignon dimorphique a été découvert à Dalat en 1956 chez le rat
de bambou et porte le nom d'Hubert Marneffe, directeur des Instituts Pasteur
d'Indochine à l'époque, membre de la Société de Pathologie Exotique (SPE) et
professeur agrégé de l'Ecole du Pharo (1938). Si la plupart des manifestations
cliniques de cette affection sont peu spécifiques, les lésions cutanées
papulo-pustuleuses peuvent être évocatrices (Vu Hai V et al). Le
diagnostic est souvent porté grâce aux hémocultures dont le repiquage sur
milieu de Sabouraud montre des colonies produisant un pigment rouge
caractéristique.
La tuberculose est bien sûr l’infection opportuniste
dominante et reste extrêmement fréquente dans la population non immunodéprimée.
Au Laos, environ 17% de la population est infectée et la tuberculose représente
1,5% des causes identifiées de décès (Seber J) et 14% des tuberculeux sont
séropositifs pour le VIH1. L'incidence des souches résistantes,
multirésistantes (MDR) et ultrarésistantes (XMDR), est particulièrement élevé
dans la région. Les souches MDR étaient responsables de 4,4% des nouveaux cas à
Haiphong en 2006 (elles représentaient 2,3% en 1996) et elles étaient retrouvées
chez 10% des cas déjà traités (avec 52,5% des souches résistantes à au moins un
antituberculeux) (Le Van Nhi). Ce phénomène reste encore méconnu en beaucoup
d'endroits, la culture du bacille n'étant que très peu pratiquée. La Laos a mis
en place un laboratoire en 2009 et la première enquête est programmée pour
2010. Les difficultés concernent aussi le diagnostic par examen direct, la
bacilloscopie, dont le rendement est faible, étant capable d'identifier moins
de 50% des cas de tuberculose. La méthode de concentration par centrifucation
après traitement par l'eau de Javel est une technique peu coûteuse et
parfaitement adaptée aux pays à faible revenu (Buisson Y et al). Elle a
en outre l'avantage d'améliorer la sécurité des manipulations. Une étude menée
à Vientiane sur 1675 échantillons provenant de 612 patients a montré que cette
méthode avait permis de détecter 24 malades supplémentaires et augmente le taux
de positivité des examens microscopiques de 33,45%. L'apport est encore plus
important lorsqu'il s'agit de patients émettant peu de bacilles comme c'est
souvent le cas chez les VIH +. Cette technique déjà proposée depuis plusieurs
années a été critiquée par son manque de standardisation (concentration de
l'eau de Javel, volumes et temps de contact). Mais ces critiques apparaissent
quelque peu académiques et artificielles au regard des services rendus et cette
technique mériterait une meilleure promotion dans les pays les plus pauvres.
Une place importante
était bien entendu réservée aux infections spécifiques à la région. Certaines
d'entre elles, liées aux habitudes alimentaires sont particulièrement
fréquentes au Laos, pays encore très rural et dans lequel le poids de la
tradition reste très fort sur les comportements (Strobel M). Le goût des habitants
pour la consommation d'une grande variété d'animaux (notamment de poissons et
de crustacés d'eau douce, volontiers crus, marinés ou très peu cuits) et de
l'omniprésente sauce de poissons de fabrication artisanale (qui n'est pas
filtrée et stérilisée comme l'est le nuoc mam vietnamien) est pour une grande
part responsable de cette situation. La paragonimose
pulmonaire par exemple se manifeste souvent par une hémoptysie et
doit être pris en considération à côté du cancer des bronches et de la
tuberculose pulmonaire. Clonorchiase et
opistorchiase sont extrêmement
fréquentes touchant jusqu'à 80% de la population générale avec une grande
majorité de formes asymptomatiques. Lorsqu'elles sont présentes, les
manifestations cliniques peuvent être sévères, obstruction et infection des
voies biliaires qui outre les manifestations aiguës d'angiocholite peuvent à
travers une inflammation chronique aboutir à la métaplasie et au
cholangiocarcinome.
Si ses foyers sont
beaucoup plus localisés, la bilharziose à Schistosoma
mekongi reste une parasitose préoccupante par sa gravité. Au
Cambodge, les campagnes de lutte notamment dans la région de Kratie ont obtenu
des résultats spectaculaires (Odermatt P), mais le cycle persiste avec un
réservoir à la fois humain et animal difficile à traiter et des habitudes
telles que le drainage des latrines dans le fleuve sont bien ancrées dans la
population. Les hôtes intermédiaires qui sont des mollusques minuscules (Neotricula)
et extrêmement nombreux sont difficiles à atteindre et ont tendance à coloniser
de nouveaux cours d'eau et à étendre leur aire de répartition. Quant au Laos,
le foyer de l'île de Khong au sud du pays est toujours actif et des infections
ont même été décrites chez des touristes. Ce risque mérite d'être connu, ce site
étant de plus en plus fréquenté.
Evoquer le paludisme dans le Sud Est Asiatique conduit
rapidement à aborder le problème de la chimiorésistance de P. falciparum.
Sa fréquence au Laos s'est traduite par de nombreux effets thérapeutiques tant
qu'ont été utilisés chloroquine et sulfadoxine-pyrimethamine conformément aux
recommandations nationales qui étaient la règle jusqu'à 2005. Ces
recommandations ont changé depuis pour faire place aux ACT (artesumate-based
combination therapy) (Mayfong Mayxay). Ces associations resteront efficaces
tant que les résistances aux produits qui les composent seront peu fréquentes.
Une surveillance de la chimiosensibilité des souches apparaît donc nécessaire.
Malheureusement les tests in vitro qui sont nécessaires à cette surveillance
restent réservés aux laboratoires spécialisés de certaines capitales. Le
transport des échantillons est difficile et les délais nécessaires font qu'une
part très importante des échantillons recueillis dans les zones reculées est
inexploitable. C'est pour transporter le laboratoire dans ces régions qui sont
celles qui en ont le plus besoin qu'est née l'idée d'un laboratoire mobile,
modulable et de faible encombrement (Parzy D). Ce matériel a été testé avec
succès à plusieurs reprises en zone rurale sur les plateaux du centre du
Vietnam. De nombreux échantillons ont pu être mis en culture et leur
chimiosensibilité a pu être mesurée sur place. L'émergence de ces résistances
est le résultat de la pression de sélection réalisée souvent par une
utilisation inadéquate des médicaments antipaludiques. La circulation des
médicaments sous-dosés a une part de responsabilité dans ce phénomène.
De manière plus
générale, le marché parallèle des médicaments, particulièrement important dans
les pays pauvres et singulièrement dans le Sud Est Asiatique est préoccupant
mais ce problème n'est pas encore pris en compte comme il le devrait
(Ambroise-Thomas P). Une enquête faite entre 2001 et 2006 a révélé qu'environ
50% des présentations sensées contenir de l'artésunate vendues dans la région
étaient des contrefaçons. Leur aspect extérieur (boites, blisters et logos des
fabricants) est parfois assez ressemblant, en tout cas suffisamment pour abuser
des populations vulnérables.
Malgré la diffusion
des tests de diagnostic rapide, la diagnostic des fièvres reste encore
syndromique dans un bon nombre de cas. Dans ce contexte, il est intéressant de
connaître la fréquence et l'étiologie des fièvres non palustres. Les rickettsioses sont fréquentes, notamment le
typhus des broussailles (Orientia tsutsugamushi) et le typhus murin (Rickettsia
typhi). En ajoutant les leptospiroses à
ces causes de fièvres, il apparaît que 39% des étiologies des fièvres non
palustres sont sensibles à la doxycycline (Newton P).
La mélioïdose, due à Burkholderia pseudomallei,
est fréquente en Thaïlande et au Laos et son poids est encore vraisemblablement
sous-estimé. Sa fréquence dans l'environnement a été étudiée par Ratanovong S
sur des prélèvements de sol pratiqués dans neuf sites à travers le Laos. Quatre
des neuf sites ont permis l'isolement de la bactérie, y compris à distance du
Mékong.
L'encéphalite
japonaise est une autre infection régionale sous-estimée, faute de
moyens diagnostiques facilement accessibles (Deubel V). Ce diagnostic est
d'autant plus délicat que la virémie reste mystérieusement faible. La
physiopathologie de l'encéphalite japonaise qui intervient dans moins d'une
infection sur 100 est étudiée à l'Institut Pasteur du Cambodge où les
virologistes ont constaté que l'invasion du cerveau qui intervient environ au 8e
jour après le contage est concomitante d'une déplétion en lymphocytes CD8 dans
le sang périphérique.
De nombreuses infections virales émergentes dans la région
Asie-Pacifique (SRAS, Nipah, Hendra) et
en Afrique (Ebola, Marburg) apparaissent liées aux populations de chauve-souris
comme l'a rappelé Gonzalez JM. Il est probable que les chiroptères jouent un
rôle aussi important que les rongeurs dans la propagation des infections
virales.
En quatre jours, de nombreuses informations ont pu être échangées sur des
sujets peu souvent abordés. Cette réunion a également permis le contact avec
des équipes jeunes issues d'une région qui s'ouvre à nouveau au monde depuis
quelques années.
Les maladies
rappelées dans ce texte, en particulier la pénicilliose, la paragonimose
pulmonaire, la clonorchiase et l'opistorchiase, la bilharziose à S. mekongi,
les rickettsioses, la mélioïdose, l'encéphalite japonaise, l'hépinavirose à virus
Hendra sont traitées, ou simplement évoquées, dans le site http://www.medecinetropicale.com.
Certaines mériteraient, à l'évidence, un plus long développement. D'autant que,
si un voyageur peut contracter une de ces affections au cours d'un séjour en
Asie du Sud-Est, une maladie « asiatique », comme l'encéphalite
japonaise ou l'infection à virus Hendra, peut émerger dans les îles de l'océan
Indien.
Note sur
le paludisme chimiorésistant en Asie du Sud-Est
: en 2008, la présence de P. falciparum résistants à l'artésunate, un
dérivé de l'artémisinine, a été confirmée le long de la frontière entre le
Cambodge et la Thaïlande. Si les ACT sont efficaces pour obtenir la guérison
clinique, même en cas d'infection par des souches résistantes à l'artémisinine,
il y a un risque d'introduction de parasites pharmacorésistants dans d'autres
zones d'endémie palustre à partir de patients ayant voyagé dans les régions
d'Asie du Sud-Est. C'est pourquoi, l'OMS recommande récemment, pour réduire ce
danger, l'adjonction de primaquine au traitement antipalustre pour accélérer
l'élimination des gamétocytes (REH, 2010, 21, 195-196).
La lettre d’information du diplôme et de la capacité de
médecine tropicale des pays de l’océan indien. N°20 – juin 2010. Pr. Pierre
Aubry, Dr. Bernard-Alex Gaüzère