N°
23. Avril 2011
Une observation d’anguillulose maligne
présentée à la séance du Comité local de la Société de Pathologie Exotique
(SPE) le 15 mars 2011 à Saint Denis de La Réunion nous amène à parler de
nouveau de l’anguillulose ou strongyloïdose, nématodose dont
le cycle évolutif permet de perpétuer sa présence chez l’homme pendant de très
nombreuses années. La gravité de la maladie est due à la forme maligne,
potentiellement mortelle, en rapport avec la dissémination larvaire
multiviscérale chez les sujets immunodéprimés.
L’anguillulose est due à un ver
rond, dont deux espèces peuvent infester l'homme, Strongyloides stercoralis et Strongyloides
fullborni. Cette dernière infeste surtout les primates et parfois l'homme
dans les forêts d'Afrique et d'Asie du sud-est.
L’anguillulose est une maladie
cosmopolite devenue tropicale. Elle atteint 30 à 100 millions de personnes dans
le monde. Les régions touchées sont l’Afrique noire, les Antilles, l’Amérique
centrale et du sud, l’océan Indien, l’Asie du sud-est.
Le cycle de Strongyloides stercoralis est complexe.
Chez l’homme, la larve infestante L3,
qui est dans le milieu extérieur, pénètre par voie transcutanée, gagne par voie
sanguine ou lymphatique le cœur droit, les poumons, puis remonte vers le
carrefour digestif et la trachée. Elle est déglutie et va s’enfouir dans la
muqueuse duodéno-jéjunale où elle se transforme en adulte. La femelle
parthénogénétique commence à pondre des œufs un mois après (le mâle ne joue
aucun rôle). Les œufs donnent des larves rhabditoïdes L1 qui migrent dans la
lumière intestinale. Le cycle peut alors se dérouler de 3 façons :
1- les larves L1 éliminées dans le
milieu extérieur donnent des larves L2, puis des larves strongyloïdes L3
infestantes. C’est le cycle court, externe, asexué, direct. Ce cycle se produit
si les conditions extérieures de température et d’humidité ne sont pas
favorables (température < 20°C, faible humidité). Il se déroule en 36
heures.
2- les larves L1 sont éliminées
dans le milieu extérieur et se transforment en larves L2, puis en larves L3
infestantes. C’est le cycle long, externe, sexué, indirect, le cycle de base.
Dans des conditions extérieures favorables de température et d’humidité
(température <20°C, forte humidité), les larves L3 donnent en 2 à 3 jours
des adultes mâles et femelles qui s’accouplent. Les femelles pondent des œufs
sur le sol qui donnent des larves L1, des larves L2, puis des larves L3 infestantes.
3- les larves L1 se transforment directement dans l’intestin du malade
en larves infestantes L3. C’est le cycle court, interne, asexué ou cycle
d’auto-réinfection. Les larves L3 pénètrent directement la muqueuse intestinale
ou pénètrent par voie transcutanée à la marge anale, gagnent le poumon par la
circulation sanguine, puis deviennent adultes dans l’intestin. Ce cycle
explique la pérennisation de l’anguillulose. La survenue d’une immunodépression
conduit à un emballement du cycle d’auto-réinfection, réalisant une
anguillulose maligne.
L’homme se contamine à partir du
sol pollué par les matières fécales. La contamination se fait essentiellement
par voie transcutanée au cours de la marche pieds nus dans les boues. Une
contamination muqueuse et sexuelle est possible.
La symptomatologie clinique
varie selon que le sujet infecté est immunocompétent ou immunodéprimé.
Chez l’immunocompétent, le tableau
clinique est celui de l’anguillulose commune. L’anguillulose commune est
souvent asymptomatique (jusqu’à 50% des cas). Lorsqu’elle est symptomatique,
elle évolue en 3 phases :
- une phase d’invasion caractérisée
par une éruption papuleuse au point d’inoculation et/ou des réactions
allergiques (urticaire, prurit),
- une phase de migration larvaire
avec toux irritative, dyspnée
asthmatiforme, possible syndrome de Loeffler,
- une phase d’état avec syndrome
douloureux abdominal à type d’épigastralgies pseudo ulcéreuses, dyspepsie,
diarrhée et/ou constipation, atteinte plus ou moins marquée de l’état général
(asthénie, anorexie, amaigrissement).
Des manifestations extra-digestives
sont possibles :
- la larva currens est
pathognomonique : c’est une conséquence du cycle d’auto-réinfection
interne. Elle se marque par une dermite linéaire fugace par migration sous-cutanée
erratique d’une larve réalisant un sillon serpigineux, érythémateux,
prurigineux avançant de quelques cm par heure, localisé au niveau du bassin,
des fesses, des cuisses et de l’abdomen. Il faut la différencier de la larva
migrans ou larbish et de la loase.
- le rhumatisme
strongyloïdien : c’est une arthrite réactionnelle qui s’inscrit dans le
cadre des rhumatismes parasitaires et peut conduire à la prescription
intempestive et néfaste de corticoïdes et donc à une anguillulose maligne,
alors que le traitement anti parasitaire suffit à la guérir.
- le syndrome de malabsorption
intestinale le plus souvent infra clinique, caractérisé par une malabsorption
biologique et une atrophie villositaire à la biopsie du grêle.
Chez l’immunodéprimé, le tableau
clinique est celui d’une anguillulose maligne
Les
principaux facteurs déclenchants de l’anguillulose maligne sont la
corticothérapie, l’infection à HTLV1, l’infection à VIH/Sida, les greffes, une
affectio auto-immune.
Il
existe alors un emballement du cycle d’auto-réinfection interne. L’anguillulose
maligne provoque des syndromes de défaillance multiviscérale. Des larves sont
retrouvées en abondance dans tous les organes, foie, rein, système nerveux
central, poumons. L’anguillulose
maligne associe des troubles digestifs, un état d’anasarque avec
hypo-albuminémie, des manifestations systémiques en particulier pulmonaires,
neurologiques et cardiaques Les manifestations pulmonaires comportent une toux,
une dyspnée, un wheezing et/ou des hémoptysies. L’anguillulose maligne est
responsable d’infiltrats pulmonaires, de syndromes de détresse respiratoire
aiguë. Les larves strongyloïdes sont mise en évidence dans le lavage
broncho-alvéolaire (LBA). Elle se
complique d’infections secondaires : septicémies, pneumopathies, abcès
pulmonaires, méningites purulentes, abcès cérébraux. Les germes en cause sont
d’origine digestive : bacilles à Gram négatif (Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, …).
Un syndrome de malabsorption intestinal, avec atrophie villositaire, aggrave
l’hypoalbuminémie avec amaigrissement, ascite, lésions cutanées disséminées,
anémie macrocytaire, hypokaliémie. Un syndrome pseudo-occlusif peut égarer le
diagnostic. Ileus intestinal et malabsorption intestinale réduisent l’efficacité
du traitement oral et rendent compte des échecs de celui-ci. L’évolution est toujours préoccupante, la mortalité
est estimée à 87%.
Alors qu’une hyperéosinophilie
durable, mais fluctuante (40 à 60% de la formule leucocytaire) est notée dans
l’anguillulose commune, une éosinopénie, témoin de l’immunodépression, est une
des caractéristiques biologiques de l’anguillulose maligne.
Le diagnostic de
certitude est parasitologique :
- examen standard des selles :
présence de larves d'anguillules dans les formes malignes, rarement dans
l'anguillulose commune (25% des cas),
- méthode d'extraction de Baermann,
basée sur les propriétés d’hygrotropisme et de thermotropisme des larves
d'anguillules, qui sont attirées par l’eau; méthode indispensable pour la mise
en évidence des larves dans l'anguillulose commune,
- examen du liquide
gastrique, du LBA : présence de larves d'anguillules, clés du diagnostic dans
les formes malignes.
- les larves peuvent
également être mise en évidence dans des biopsies duodéno-jéjunales.
Le diagnostic sérologique est
peu fiable en raison de réactions croisées avec les autres nématodoses, y
compris les filaires.
Des essais sont actuellement
prometteurs avec la PCR.
La combinaison de l'examen
standard, de la méthode de Baermann et de la PCR dans les selles donnent des
prévalences très supérieures au simple examen standard des selles.
Le traitement de
l’anguillulose commune est l’ivermectine (Stromectol®) 200 µg/kg en prise
unique avec une efficacité de 83%. L’albendazole (Zentel®) 400mg/j x 3 jours
n'a une efficacité que de 45%. Les rares échecs de l’ivermectine sont
habituellement rattrapés par une deuxième cure d’ivermectine réalisée deux
semaines plus tard (J15).
Le traitement de l’anguillulose
maligne associe antiparasitaire et antibiotiques. Le traitement antiparasitaire
est basé sur l’ivermectine 200 µg/kg par jour pendant 2 jours (J1-J2),
renouvelé deux semaines plus tard (J15-J16). Une antibiothérapie probabiliste
dirigée contre les germes d’origine digestive (BGN) est prescrite. La prise en
charge symptomatique des différentes défaillances d’organe justifie une
hospitalisation en réanimation.
Le traitement antiparasitaire par
voie orale peut être inefficace dans certaines conditions telles qu’une
obstruction intestinale, une malabsorption intestinale, des vomissements
répétés, d’où l’intérêt d’un traitement injectable par l’ivermectine par voie
parentérale, médicament réservé à l’usage vétérinaire. Une série française de
sept cas d’anguillulose maligne a été présentée au cours de la même séance du
Comité local de la SPE. L’ivermectine a été injectée par voie
sous-cutanée : trois patients sur sept ont guéri. La mortalité serait
corrélée à l’âge (au-dessus de 50 ans) et à l’importance de la dénutrition. La
correction des désordres métaboliques, en particulier de l’hypoalbuminémie,
permet d’augmenter l’efficacité du traitement.
La prophylaxie
de l’anguillulose repose sur
la lutte contre le péril fécal. Un traitement systématique est obligatoire chez
tout patient susceptible d’avoir été infecté avant d’entreprendre ou de
renouveler une corticothérapie : deux cures de 200 µg/kg d'ivermectine à quinze
jours d'intervalle avant de débuter le traitement corticoïde. Les formes
associées au virus HTLV1 sont souvent rebelles au traitement, un traitement
prophylactique mensuel est donc indiqué chez un sujet HTLV1 positif.
Une nouvelle forme clinique d’anguillulose a été
rapportée dans le cadre du syndrome de reconstitution immunitaire (SRI). Elle
doit être évoquée devant un tableau digestif aigu sévère. Les arguments en
faveur du SRI sont : l'apparition des symptômes au moment où la charge virale
diminue, l'absence de dissémination à d'autres organes (il s'agit d'une hyper
infection et non d'une maladie disséminée), l'absence d'hyperéosinophilie
sanguine.
Références
Daoudal
P., Ribier G., Numeric P., Desbois N., Ramialison C. L'anguillulose maligne,
cause rare de défaillance multiviscérale. La Presse Med., 2002, 31,
1216-1217.
Taylor C.L., Subbarao V., Gayed S.,
Ustianowski A.P. Immune reconstitution syndrom to Strongyloides stercoralis
infection. AIDS, 2007, 21, 649-655.
Olsen A.,
van Lieshout L., Marti H. and al. Srongyloidasis-the most neglected of the
neglected tropical diseases? Tr. R. Soc.
Trop. Med. Hyg., 2009, 103 967-972.
La lettre d’information du diplôme et de la capacité de
médecine tropicale des pays de l’océan indien. N°23 – Avril 2011. Pr. Pierre
Aubry, Pr. Bernard-Alex Gaüzère (rédigé le 31 mars 2011)