Noma. Cas clinique.

 

Observation :

Un garçon nigérien de 20 mois est admis à l’hôpital d’Agadez pour une escarre noirâtre de la joue droite et une importante altération de l’état général avec important amaigrissement en rapport avec une anorexie quasi totale..

L’interrogatoire de sa mère apprend  qu’il a subi un sevrage brutal deux mois auparavant passant directement du sein maternel au plat familial, qu’il a été atteint de rougeole dont la phase de desquamation est survenue dans la quinzaine précédente, le tout survenant dans un contexte socio-économique désastreux, en pleine période de sécheresse et de famine.

A l’examen, la température est à 38,5°C. La peau garde le pli cutané, les globes oculaires sont hypotoniques, les veines sont plates.  La T.A. est à 60 mm Hg, le pouls est mal frappé à 100/mn. Le poids est de 8,5 kg pour une taille de 82 cm. Le périmètre brachial est à 11,6 cm. L’enfant est prostré et adynamique.
Il existe sur la face externe de la joue droite une escarre noirâtre indolore, à bords nécrotiques, entourée d’une zone inflammatoire. L’ensemble de cette zone est de consistance cartonnée à la palpation. L’examen endo-buccal met en évidence une perte de substance de la gencive supérieure droite, dont les bords et le fond sont grisâtres et « s’effilochent comme de l’étoupe ». Cette lésion s ‘est propagée par contiguïté à la face interne de la joue au niveau de l’escarre cutanée. L’ouverture de la bouche est limitée sans trismus.

L’examen de l’ensemble du revêtement cutané montre une peau sèche et desquamative, des cheveux défrisés, fins et cassants.

Un prélèvement de la lésion gingivale ne montre pas de germes ni  à l’examen direct, ni à la coloration de Gram. Il y a de nombreux polynucléaires altérés et des débris cellulaires..

Un examen parasitologique des selles montre la présence de kystes de Giardia intestinalis

 

Quel est votre diagnostic ?

Quelle est l’étiologie de cette maladie ?

Quelles sont les relations entre cette maladie et l’infection VIH/SIDA en Afrique ?

Quelle attitude thérapeutique adopter ?

 

Discussion :

Une stomatite avec déshydratation et dénutrition chez un enfant africain fait évoquer :

-         une primo-infection herpétique, mais les gencives et les muqueuses jugales et palatines sont hyperhemiées et couvertes de vésicules,

-         un noma ou « cancrum oris ».

Le noma détruit les tissus mous et les tissus osseux de la sphère orofaciale. Il est classiquement observé chez le petit enfant de 6 mois à 8 ans en zone soudano-sahélienne. C’est une maladie de la pauvreté, « des pauvres parmi les plus pauvres ».

Il est actuellement considéré comme la résultante de plusieurs facteurs : malnutrition et facteurs infectieux tels que rougeole, infection herpétique, typhoïde, paludisme, parasitoses intestinales, … dans les suites desquels il s’installe. Ceux-ci se conjuguent pour aboutir à un état d’immunodéficience et à l’installation d’une gingivite nécrosante et ulcérée qui fait le lit d’une infection locale poly microbienne responsable des lésions.

Le taux d’incidence du noma serait de 1 / 1 250 chez les enfants de 2 à 6 ans au Nigeria, de 1,34 / 1 000 au Niger et de 0,7 à 1,2 / 1 000 au Sénégal. La maladie ne touche pas que le continent africain qui est totalement concerné, mais aussi le continent indien et une partie de l’Amérique latine.

Les études bactériologiques ont montré la présence d’une flore polymorphe (association fuso-spirillaire de Vincent, Pseudomonas, Bacteroïdes) dont la responsabilité n’est pas prouvée.

La survenue du noma est classiquement exceptionnelle cher l’adulte. Il a été observé dans les camps de concentration nazis et il est chez des sidéens. Il existe une forte prévalence des gingivo-stomatites au cours du sida. La flore buccale prédominante est polymorphe et de signification incertaine.

L’élimination de la nécrose peut être accélérée par une simple excision du cône gangreneux et des séquelles osseuses. Le traitement médical repose sur la réquilibration hydro-électrolytique, la renutrition, le déparasitage et de façon empirique sur l’antibiothérapie à large spectre aéro-anaréobie. La chirurgie des séquelles est difficile. Elle consiste d’une part  à lever les constrictions des mâchoires par résection des brides cicatricielles et des ostéotomies et fait, d’autre part, appel à la chirurgie plastique, mais les résultats esthétiques sont peu satisfaisants.

Dans l’observation rapportée, l’enfant a été traité :

-         localement par antiseptiques (solution de Dakin au 1/20 éme), détersion des zones nécrotiques, éxerése des séquestres osseux,

-         au point de vue général par réhydratation et ré alimentation proteino-énergétique par sonde naso-gastrique, antibiothérapie associant pénicilline G et métronidazole (qui est actif sur les Giardia intestinalis)

-         il a été pratiqué une prévention du tétanos.

Il n’a pas été fait sur place d’acte chirurgical et l’enfant, rendu à sa famille, est décédé un mois plus tard.

L’OMS a lancé une campagne mondiale d’information sur le noma. Des Organisations non gouvernementales parcourent le Sahel pour apprendre aux mères à détecter la maladie à un stade réversible. Il faut, en effet, intervenir tôt, au stade initial caractérisé par une tuméfaction inflammatoire au sein de laquelle va apparaître une plaque arrondie noirâtre qui aboutit à l’élimination d’un cône gangreneux. L’élimination du séquestre est suivie d’une cicatrisation rapide laissant persister une perforation séquellaire proportionnelle à l’ampleur de la nécrose. Ainsi, moins la lésion sera  étendue, moins les séquelles faciales seront importantes, et moins la létalité, qui est encore de 80%, sera élevée.  

 

 

Références :

- Aubry P., Touze J.E. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulie Edit., mars 1990,

 p. 212.

-Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile, éditions Varia, mars 2001, pp. 288-290.


  

Iconographie :

Malade : lésion gangréneuse étendue du visage