Infections sexuellement
transmissibles
Professeur
Pierre Aubry. Texte rédigé le 27/05/2006
1-Généralités
Depuis le début de l’infection à
VIH/SIDA, les Infections sexuellement transmissibles (IST) ont connu un regain
d’intérêt, parce que d’une part, elles constituent des co-facteurs de celle-ci
et que, d’autre part, leur prise en charge adéquate permet de réduire
l’acquisition de l’infection à VIH/SIDA.
Les IST peuvent être la cause d’un
écoulement urétral ou vaginal, d’ulcérations génitales ou de végétations
vénériennes. Les IST peuvent s’associer (ex.: chancre syphilitique et infection
gonococcique [urétrite ou surinfection du chancre]). La notion d’un rapport
sexuel à risque et non protégé oriente vers une IST.
2.1. Le chancre syphilitique
La première infection à évoquer devant
une ulcération génitale est le chancre syphilitique du à Treponema pallidum.
2.1.1. Clinique
L’incubation est de 3 semaines en
moyenne. L’ulcération est souvent unique, indurée et indolore, avec des
adénopathies multiples (dont une grosse adénopathie «le préfet de l’aine»),
indolores, fermes, non inflammatoires.
Le chancre syphilitique correspond,
dans l’histoire naturelle de la maladie à la syphilis primaire, qui, non
traitée, évolue vers la syphilis secondaire (roséole, syphilides), puis après
une phase de latence de longue durée (en moyenne 15 ans), vers la syphilis
tertiaire dans 15% des cas environ (syphilis tertiaire bénigne avec lésions
cutanéo-muqueuses et osseuses ou grave avec atteinte cardio-vasculaire
et/ou neurologique)
2.2.2. Diagnostic
Il repose sur l’examen direct de la
sérosité obtenue par raclage du fond du chancre qui met en évidence les
tréponèmes au microscope à fond noir et
sur la sérologie syphilitique qui se positive dans les 5 à 10 premiers jours
après l’apparition du chancre (VDRL à
J15, TPHA à J10, FTA à J5)
2.2.3. Traitement
Le
traitement repose sur la benzathine-pénicilline (EXTENCILLINE®) IM à la dose de
2,4 MUI en dose unique. En cas
d’allergie à la pénicilline, d’autres antibiotiques doivent être
utilisés : doxycycline p.o. 200
mg/j en 2 prises ou érythromycine 2 g/j en 2 prises ou azithromycine 1g/j, ces
trois médicaments étant prescrits
pendant 14 jours.
2.2. Le chancre mou
Le chancre mou est maladie vénérienne
due à Haemophilus ducreyi ou bacille de Ducrey. Il est fréquent en zone
tropicale.
2.2.1. Clinique
L’incubation est brève, en
moyenne 2 à 5 jours. L’aspect est le plus souvent évocateur : ulcérations
unique ou multiples, ovalaires, de 5 mm à 1,5 cm, à bords décollés, avec
présence d’un double liseré jaune et rouge. Le fond est recouvert d’un enduit
puriforme, la base est empâtée, non indurée. Le chancre mou, spontanément
indolore, est douloureux à la pression et à la palpation. Les lésions
d’auto-inoculation sont caractéristiques de l’affection et siégent en général
au niveau des cuisses. Les adénopathies satellites sont toujours présentes, de
siège inguinal, et ont un caractère inflammatoire. En l’absence de traitement
et chez les malades n’observant pas de repos, l’adénopathie va évoluer vers la
suppuration et la fistulisation : c’est le bubon chancrelleux.
2.2.2. Diagnostic
L’examen direct met en évidence des
bacilles Gram négatif à coloration bipolaire. Ces bacilles siégent au nombre de
10 à 20 à l’intérieur des polynucléaires. Certains bacilles extracellulaires se
regroupent en chaînettes
Il faut toujours penser à un chancre
mixte d’où la réalisation systématique d’une sérologie syphilitique
2.2.3. Traitement
Le traitement fait appel à la
doxycycline, 200 mg/j en 2 prises pendant 7 jours ou à l’érythromycine, 2g/j en
2 prises pendant 7 jours. Alternatives thérapeutiques : la ceftriaxone 250
mg IM en dose unique, azithromycine 1g p.o. en prise unique.
En l’absence de diagnostic de
certitude, il faut traiter en première intention à la fois un chancre
syphilitique et un chancre mou par la doxycycline, l’érythromycine ou l’azithromycine pendant 14 jours.
2.3. La Donovanose
La donovanose ou granulome inguinal est
dû à Calymmatobactérium granulomatis.
Les foyers d’endémie sont l’Inde, l’Australie, la Papouasie Nouvelle Guinée,
l’Afrique du sud, les Guyanes, les Caraïbes, le Brésil.
2.3.1. Clinique
L’incubation est longue (durée moyenne : 50 jours).
Les ulcérations bourgeonnantes, localisées sur l ‘appareil génital ou,
plus rarement, dans la région anale, saignent facilement au contact
(ulcérations dites framboisiformes), sont indolores, s’étendent par contiguïté
«en feuille de livre». Les bords des ulcérations sont en margelle de puits. Il
n’y a pas d’adénopathie satellite, mais il peut exister des pseudo-bubons par
diffusion sous-cutanée (aires inguinales). La localisation la plus fréquente
chez l’homme est le prépuce, le sillon balano-préputial et, plus rarement, le
gland et chez la femme, la fourchette et les lèvres. Il existe des
localisations extra-génitales, surtout orales. L’évolution non traitée peut
s’étaler sur des années avec des destructions tissulaires étendues, laissant
des cicatrices rétractiles ou d’importantes mutilations. De ces lésions sourd
en permanence une sérosité
2.3.2. Diagnostic
La présence sur le frottis de raclage
de bacilles Gram négatif dans les histiocytes, prenant une coloration bipolaire
(les corps de Donovan) fait le diagnostic de donovanose
Le diagnostic peut être complété par un examen
histopathologique, en particulier en cas de localisation cervicale chez la
femme. La PCR est en développement.
2.3.3. Traitement
Le traitement de la donovanose fait
appel en première intention à la doxycycline p.o. , 200 mg/j en 2 prises au
minimum pendant 14 jours, au cotrimoxazole 1600 mg SMX + 320 mg TMP/jour en 2
prises pendant au minimum 14 jours, à l’azithromycine 1g le premier jour, puis
500 mg/j les 7 jours suivants (voir en cure unique de 1 g). Les
alternatives : ciprofloxacine, érythromycine.
2.4. La lymphogranulomatose vénérienne ou maladie de Nicolas et
Favre
2.4.1. Clinique
La lymphogranulomatose vénérienne ou
maladie de Nicolas et Favre est due à Chlamydia
trachomatis. C’est en pratique une maladie systémique chronique, dont le
point de départ est une vésicule herpétiforme génitale souvent méconnue. La
maladie se révèle par deux tableaux cliniques principaux : adénites
inguinales réparties de part et d’autre de l’arcade crurale (signe de la
poulie) évoluant vers la fistulisation (en pomme d’arrosoir) et une rectite
aiguë.
2.4.2. Diagnostic
Il repose sur la mise en évidence de Chlamydia trachomatis par culture
cellulaire à partir de la ponction
ganglionnaire et sur le sérodiagnostic FC, IFI, ELISA.
2.4.3. Traitement
Il repose sur la doxycycline 200 mg/j en 2 prises ou
l’érythromycine 2g/j en 2 prises p.o. pendant au minimum 14 jours et une
ponction du ganglion s’il est fluctuant.
2.5. L’herpès
2.5.1. Clinique
Il est du à Herpes simplex virus 2 (HVS 2)
ou à HVS 1. La primo-infection se
caractérise par des vésicules très douloureuses et une fièvre. Les vésicules
évoluent vers des érosions multiples groupées en bouquet, avec de multiples
adénopathies de petite taille, sensibles et fermes. Les lésions sont chez
l’homme sur le fourreau, le prépuce ou le gland, chez la femme, elles
entraînent une vulvo-vaginite. Après la primo-infection, la fréquence des
récurrences herpétiques génitales est très variable, en moyenne 3 à 4
récurrences annuelles sont observées.
2.5.2. Diagnostic
Il est basé sur l’isolement du virus
par culture et la PCR. Le cytodiagnostic de Tzanck est une technique peu
sensible.
2.5.3. Traitement
L’aciclovir (ZOVIRAX®) comprimés à 200
mg, 1g/j à répartir dans la journée pendant 10 jours. En cas de récurrences,
abstention ou acyclovir 1 g/j pendant 5 jours.
3. Végétations vénériennes dues à des human papillomavirus (HPV) :
Il s’agit d’infections génitales très
contagieuses se caractérisant cliniquement par des condylomes acuminés (crêtes
de coq) ou des condylomes plats (papules surélevées), indolores, multiples,
localisées aux organes génitaux externes et à l’anus, mais aussi au rectum, au
vagin, au col de l’utérus et à l’urètre. La complication des infections à HPV
est le cancer du col de l’utérus d’où la nécessite d’une colposcopie.
Le diagnostic repose sur l’étude cytologique
de frottis ou de biopsie des lésions et la PCR.
Le traitement : désinfection locale,
application prudente d’une préparation à base de podophyllotoxine à 0,5% en cas
de petits condylomes des organes génitaux externes, de l’anus et du vagin ou si
la lésion fait plus de 3 cm sur la cryothérapie, l’électrocoagulation ou
l’excision chirurgicale.
Deux vaccins viennent
d’être mis au point : contre les HPV :
un vaccin quadrivalent (HPV de types
16 et 18 impliqués dans le cancer du col de l’utérus ainsi que les types 6 et
11 impliqués dans les condylomes acuminés, un vaccin bivalent HPV 16 et 18. Ces vaccins ont une
efficacité de 100% dans la prévention du cancer du col utérin, d’où l’intérêt
du dépistage actif et de la vaccination prophylactique.
4.
Prévention
des IST
Les modalités de lutte contre les IST
consistent en une prévention primaire portant sur les comportements
sexuels à moindre risque : préservatif, abstinence ou fidélité ; en une
prévention secondaire : prise en charge curative des IST ; en une
prise en charge du ou des partenaires sexuels, essentielle mais toujours
difficile ; dans le dépistage de
l’infection à VIH/SIDA, mais aussi des hépatites virales B et C ; dans la
prise en charge des groupes à risque particuliers, professionnelles du sexe et
leurs clients.
En zone tropicale, on note
d’une part la faible part de la prostitution «officielle» dans la transmission
des IST et d’autre part l’importance relative de la prostitution clandestine au
cours des rapports «monnayes».
Références
De Barbeyrac B., Bébéar C., Géniaux M.
Maladie de Nicolas et Favre. Encycl. Med. Chir, Maladies infectieuses,
8-076-A-10, 2001, 6 p.
Janier M, Caumes E. Syphilis. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-039-A-10, 2003, 17 p. Douvier S., Dalac S.
Infections à papillomavirus. Encycl. Med. Chir., Maladies infectieuses,
8-054-A-10, 2004, 19 p.
Clyti E., Pradinaud R. Donovanose. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-020-A-10, 2004, 5 p. Ly F., Gueye N.,
Samb N.B. et coll. Etude prospective des infections sexuellement transmissibles
à Dakar. Med. Trop., 2006, 66, 64-68.
Tableau - Critères diagnostiques et
traitement des ulcérations génitales.
|
Syphilis
primaire
|
Chancre
mou
|
Donovanose
|
Lymphogranulomatose
vénérienne
|
Herpès
|
Agent
pathogène
|
Treponema pallidum
|
Hémophilus ducreyi
|
Colymmato-
bacterium granulomatis
|
Chlamydia trachomatis
|
Herpés virus simplex
|
Incubation
|
10
à 90 jours
|
Courte
(2
à 5 jours)
|
|
Courte (3
jours à 3 semaines)
|
Courte
1
à 10 jours
|
Clinique
|
Chancre
unique, induré, indolore, ADP (préfet de l’aine)
|
Chancres multiples,
non indurés,
douloureux
ADP
douloureuses Bubon
|
Ulcérations
indolores
Pseudobubon
|
Erosion ou papule
ADP unilatérale
Suppurée (bubon)
|
Vésicules,
ulcérations douloureuses
ADP
multiples
|
Evolution
spontanée
|
Régression
en 3 à 6 semaines
|
Fistulisation
des
ADP
|
Mutilation
|
Fistulisation
des ADP
|
Régression
Récurrences
|
Examen
direct
|
|
BGN
en
chaînettes
|
BGN:
corps
de
Donovan
|
Culture
cellulaire
|
Culture
cellulaire
|
Sérologie
|
FTA,
puis TPHA et VDRL
|
-
|
-
|
FC,
IFI, ELISA
|
|
Traitement
|
Pénicilline
retard
Doxyxycline
Erythromycine
Azithromycine
|
Doxycycline
Erythromycine
Ceftriaxone
Azithromycine
|
Doxycycline
Cotrimoxazole
Azithromycine
Ciprofloxacine
Erythromycine
|
Doxycycline
Erythromycine
|
Aciclovir
|