Les
infections opportunistes du sida
Expérience
d’un pays d’Afrique Centrale : le Burundi (1989-1993)
En
Afrique sub-Saharienne, le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) s’exprime
essentiellement par des infections opportunistes (IO). Cet article résume notre
expérience du SIDA de l’adulte africain, acquise de 1989 à 1993 au CHU de
Kamenge à Bujumbura, capitale de Burundi. La séroprévalence du VIH était de
15,16% en 1989-1990 dans la population sexuellement active (15-44 ans) (1).
La
survenue des IO au cours de l’infection VIH est liée à la progression du
déficit immunitaire. Mais en Afrique sub-Saharienne, la mortalité due à la
tuberculose modifie l’histoire naturelle du SIDA.
2.1. Les infections cutanéo-muqueuses sont
souvent révélatrices de la séropositivité, en particulier le zona et la
candidose oropharyngée. Il s’agit d’IO mineures, survenant avant le stade de
SIDA.
·
Le zona a été reconnu dès 1986 comme un
indicateur précoce du SIDA en Afrique (2). 80 à 95% des zonas sont séropositifs
au Burundi. On note une plus grande fréquence des zonas multimétamériques,
ophtalmologiques, récidivants.
·
La candidose oropharyngée, est notée
dès le 1er examen dans 45% des cas, quasi-constante au cours de
l’évolution. L’aspect clinique est évocateur : dépôts blanchâtres au
niveau de la face interne des joues, du palais. La candidose contribue à
l’anorexie.
·
Les autres infections
cutanéo-muqueuses sont une aide au diagnostic et/ou au pronostic :
*
herpès
cutanéo-muqueux de siège périnéal
*
condylomes
vénériens
*
molluscum
contagiosium
*
dermatophytoses
(intertrigos inguinaux)
*
sarcome
de Kaposi (lie à l’HHV 8)
avec des
lésions profuses, extensives et récidivantes.
·
La leucoplasie chevelure de la
langue à EBV est rare : 2 cas sur 154 (1%) dans une étude récente menée
dans notre Centre (3).
2.2. Les infections pulmonaires
·
Elles
sont dominées par la tuberculose,
première IO majeure en Afrique sub-Saharienne, souvent cause d’un décès précoce
(4).
·
Les pneumopathies bactériennes non
tuberculeuses,
le plus souvent dues à Streptococcus
pneumoniae (qui ne fait pas partie des pathogènes opportunistes du SIDA),
sont fréquemment associées au SIDA en Afrique (5).
Dans notre Centre, les pneumopathies
bactériennes non tuberculeuses représentent 35,6% des complications pulmonaires
du SIDA (6). Le diagnostic est établi sur le tableau radioclinique et sur
l’isolement du germe par hémocultures. En fait, le diagnostic n’est souvent que
de présomption basé sur une évolution clinique rapidement favorable sous
antibiothérapie non spécifique et la disparition des lésions radiologiques au
contrôle.
·
La pneumocystose à Pneumosystis carinii est considérée comme quasi-absente
en Afrique sub-Saharienne. En fait, dans les conditions de diagnostic classique
(lavage broncho-aléolaire, colorations spéciales), 11 cas sur 223 pneumopathies
aiguës (5%) ont été dépistées en 1990-1991 dans notre Centre (6). L’aspect
radiologique le plus évocateur est celui d’une pneumopathie interstitielle
diffuse bilatériale.
·
Les mycoses pulmonaires : candidose, crypococcose,
aspergillose invasive sont mises en évidence par le lavage broncho-alvéolaire
(6). L'aspergillose invasive, se voyant plus souvent avec l'allongement de la
survie du Sida, n'a pas été observée.
2.3. Les infections neuroméningées
·
La cryptococcose à Cryptococcus
néoformans est l’IO majeure la plus fréquente en
Afrique sub-Saharienne après la tuberculose (7). 90 cas (série consécutive) ont
été traités dans notre Centre pendant 2 ans (1992-1994) (8). Elle réalise le
plus souvent une méningo-encéphalite, mais le tableau clinique peut être
atypique limité à des céphalées et le liquide céphalo-rachidien (LCR) peut être
normal (9). L’antigène cryptococcique peut être positif dans le LCR alors que
la culture est négative (10% des cas) (8).
·
La toxoplasmose à Toxoplasma
gondii est classiquement rare en Afrique sub-Saharienne. Une
atteinte neurologique focalisée associée ou non à des crises épileptiques pose
le problème du diagnostic étiologique : toxoplasmose, lymphome,… ? On
ne peut répondre en l’absence de tomodensitométrie (9). Le diagnostic de
toxoplasmose cérébrale a été porté par tomodensitométrie (TDM) dans 32 cas chez
une population de malades neurologiques à Abidjan (10). De même, une toxoplasmose
cérébrale a été diagnostiquée par TDM dans 23 cas sur 105 patients VIH positifs
(22%) dans le service de Neurologie du CHU de Lomé (11).
·
La tuberculose neuromeningée,
classiquement rare chez l’adulte africain avant 1983, doit être
systématiquement évoquée devant une méningite à liquide clair, avec
hypoglycorachie, en l’absence d’étiologie, vu la fréquence de la tuberculose
disséminée au cours du SIDA (12).
2.4. Les infections digestives
Elles
entraînent une symptomatologie assez stérotypée :
·
diarrhée chronique, douleurs abdominales,
·
dysphagie,
qui doivent entraîner
une recherche étiologique.
La
dysphagie est due en pratique à une candidose œusophagienne dont l’aspect
endoscopique fait de dépôts blanchâtres tapissant la muqueuse est
caractéristique. Il est cependant inutile d’avoir recours à une endoscopie
digestive haute en cas de candidose oropharyngée.
Deux
nouveaux protozoaires ont été signalés dès 1985 comme cause de la diarrhée du
Sida africain : Isospora belli
et Cryptosporidium parvum. Bien que
des larves d’anguillules soient souvent mises en évidence, il n’est pas observé
au cours du Sida d’anguillulose maligne.
Les
infections microbiennes sont dominées par les salmonelloses non typhiques qui
entraînent inconstamment une diarrhée (13).
2.5. Les bactériémies au cours du Sida Africain
Elles
sont dominées par les infections à salmonelles
et à Streptococcus pneumoniae.
103 observations de bactériennes à salmonelles non typhiques ont été
recueillies en un an dans notre Centre, le diagnostic reposant sur les hémocultures,
la fièvre étant constante, la diarrhée au second plan (13). 86 malades sur 103
étaient VIH positif. Les bactériémies à salmonelles au cours du Sida africain
sont rarement inaugurales à la différence de ce qui est signalé en France.
Elles sont récidivantes. Leur origine nosocomiale a été dans quelques cas
suspectée (13).
Les
bactériémies à Streptococcus pneumoniae
représente une nouvelle forme clinique de pneumococcies : 11% des
infections à pneumocoque dépistées au Kenya chez les prostituées VIH positifs
étaient des bactériémies (56% des cas étaient des pneumonies) (14).
Certains
IO sont rares en Afrique sub-Saharienne. Ainsi, la rétinite à cytomegalovirus
semble exceptionnelle : 2 cas sur 154 malades (1%) observés en 1992-1993
dans notre Centre, alors que des anticors antiCMV étaient présents chez 151
patients (98%) (3).
Les
« nouvelles » IO (15) dues aux microsporidies, aux
mycobactéries atypiques, à certains herpetoviriadae (comme le HHV6) n’ont fait
l’objet que de rares études en Afrique sub-Saharienne. En utilisant une
nouvelle technique (Cytospin Uvitex 2 BR method), une microsporidie
est isolée dans 13 cas sur 129 examens de selles (10%) chez les adultes
présentant une diarrhée persistante au Zimbabwe (16).
La
fréquence des IO au cours du Sida africain dépend du déficit immunitaire, mais
aussi des conditions d’environnement et d’hygiène.
La
rareté de certains IO : pneumocystose, cytomegalovirose, … s’explique par
le décès précoce des malades par tuberculose. L’endémie tuberculeuse était
encore très active en Afrique sub-Saharienne en 1981 et l’infection à VIH a
entraîné un « bond en avant » de la tuberculose dès 1983. Les malades
atteints du SIDA décèdent de tuberculose alors que leur taux de lymphocytes CD4
est > 100mm3 (17). La fréquence de la cryptococcose en
Afrique Centrale peut s’expliquer par les conditions d’environnement favorisant
sa survenue (18). Ainsi, 75% des patients étudiés dans notre Centre en 1993
avaient un taux de lymphocytes CD4 > 100 mm3, alors
que la prévalence de la cryptococcose était élevée (23/154, soit 15%) (3).
Références |
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1.
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