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Shigellose chez un adolescent africain vivant au Gabon : cas clinique

D.U octobre 2006

 

Observation n°1

 

Un adolescent de 16 ans, fils de riziculteur, habitant près d’Antananarivo, capitale de Madagascar, est hospitalisé au CHU d’Antananarivo pour un syndrome dysentérique. Le début de la maladie remonte à 3 jours par l’apparition d’une fièvre avec céphalées, vomissements et douleurs abdominales. Le lendemain, apparaît une diarrhée liquide profuse jaunâtre. La veille de l’hospitalisation, le malade présente un syndrome dysentérique typique fait de nombreuses selles afécales (plus de 10 selles dans la journée), glairo-sanglantes, accompagnées d’une recrudescence des douleurs abdominales à type d’épreintes et un ténesme.

Il n’y a pas d’antécédent pathologique notable chez cet adolescent. Il vit dans un quartier périphérique dépourvu d’eau courante et de tout à l’égout. Les inondations sont fréquentes en saison des pluies.

A l’examen, on est en présence d’un malade obnubilé, prostré, aux traits tirés. La température est à 40°C. Il existe un pli cutané. L’abdomen est sensible. Les deux fosses iliaques sont douloureuses et gargouillantes. La TA est à 90/60 mmHg, le pouls à 110 mm. Les examens cardiaque, pulmonaire, neurologique sont normaux. Il n’y a ni hépatomégalie, ni splénomégalie ni adénopathie.

 

Examens paracliniques :

VSH : 58 mm à la première heure, CRP 52 mg/l

NFS :

- Globules rouges : 3 800 000/mm3, taux d’Hb : 12,6 g/dl, Ht : 40%, VGM : 78 µ3 ;

- Globules blancs : 18 300/mm3, polynucléaires neutrophiles : 72%, éosinophiles : 3%, lymphocytes : 20%.

Frottis sanguin : absence d’hématozoaires.

Créatininémie : 142 µmol/l, glycémie : 5,4 mmol/l, ionogramme sanguin : Na : 138 mmol/l, K : 2,8 mmol/l, chlore : 99 mmol/l.

Radiographie de l’abdomen sans préparation : dilatation colique modérée.

Examen parasitologique des selles : négatif (en particulier absence d’amibes et d’œufs de Schistosoma mansoni)

Examen cytobactériologique des selles : très nombreux leucocytes altérés, présence de bacilles gram négatif courts et mobiles (la culture isolera une shigelle).

Trois hémocultures sont adressées au laboratoire.

 

Questions

 

1. Quel diagnostic évoquez-vous ?

2. Quel(s) autres(s) examen(s) paraclinique(s) jugez-vous nécessaire pour confirmer le diagnostic ?

3. Quelle est l’épidémiologie de cette maladie ?

4. Quels sont les critères de mauvais pronostic et quelles complications sont à redouter ?

5. Quel traitement allez-vous prescrire ?

6. Quelle est la prévention ?

 

Réponses

 

1. Il s’agit d’un syndrome dysentérique caractérisé par des douleurs abdominales diffuses à type d’empreintes, un ténesme et des selles afécales, glairo-sanglantes. Devant ce tableau clinique, deux diagnostics sont évoqués en zone tropicale : une amibiase colique aiguë et une dysenterie bacillaire ou shigellose. L’atteinte marquée de l’état général, l’obnubilation, la température à 40°C évoquent d’emblée une shigellose. L’examen parasitologique des selles est négatif. La coproculture met en évidence des bacilles gram négatif courts et mobiles et isolera une Shigella.  

2. Il n’y pas d’autre examen paraclinique nécessaire pour confirmer le diagnostic. En l’absence de positivité de la coproculture, il faudrait alors discuter la pratique d’une rectosigmoïdoscopie, réalisée avec un tube souple et limitée à l’exploration du rectum. Elle est douloureuse au-delà de la charnière rectosigmoïdienne et peut être dangereuse, vu la présence d’ulcérations. Elle ne doit pas être pratiquée ici, le diagnostic étant apporté par la coproculture. Par contre, un antibiogramme doit être demandé.

3. Il s’agit d’une shigellose ou dysenterie bacillaire.

On distingue 4 groupes de shigelles :

- groupe A : Shigella dysenteriae,

- groupe B : Shigella flexneri,

- groupe C : Shigella boydii,

- groupe D : Shigella sonnei.

Les shigelloses sont le plus souvent dues en zone tropicale à Shigella dysenteriae type 1 responsable des formes graves. La contamination est féco-orale, directe par contact interhumain (manuportage) ou indirecte par ingestion d’eau ou d’aliments souillés par les selles.

Les shigelles sont des germes invasifs. A ce phénomène invasif, s’ajoute pour le bacille de Shiga, l’élaboration d’une toxine à effet neurotoxique et entérotoxique, responsable des manifestations neurologiques et de la composante hydrique de la diarrhée observée au début de la maladie.

4. L’obnubilation est ici un critère de mauvais pronostic, mais l’hyperleucocytose est modérée sans myélémie à la numération formule sanguine, et le  bilan biologique (ionogramme sanguin, glycémie) est dans les limites de la normale. Cependant, la fièvre, la déshydratation, la dilatation colique, même modérée, doivent faire craindre des complications immédiates, locales (mégacôlon toxique, perforation colique) et générales (septicémies, choc septique).

Il faut toujours rechercher une infection digestive associée (amibiase (dysenterie amoebo-bacillaire), salmonellose, bilharziose, entérovirose) qui peut aggraver le pronostic..

5. Le traitement associe une réhydratation hydro-électrolytique orale ou parentérale et une antibiothérapie. Les shigelles hébergent des plasmides de résistance aux antibiotiques, ceux-ci ne doivent être prescrits que dans les formes graves, selon les résultats de l’antibiogramme. En pratique, les céphalosporines de 2ème ou 3ème génération (C2G, C3G) ou les fluoroquinolones sont prescrites.

La réhydratation est faite dans le cas présenté par voie orale grâce aux SRO. La ciprofloxacine est prescrite à la dose de 500 mg, 2 fois par jour per os, pendant 5 jours. La guérison est obtenue en 72 heures chez ce sujet jeune non immunodéprimé.

6. La prévention repose sur la lutte contre le péril fécal (hygiène individuelle, hygiène des eaux et des excrétas). Il n’y a pas actuellement de vaccin contre les shigelles à notre disposition.

Une enquête doit être déclenchée à la recherche d’autres cas de shigellose dans la famille et dans les maisons alentour.

 

 

Observation n°2

 

Un homme de 65 ans, de nationalité française, enseignant à la retraite, ayant travaillé de nombreuses années outre-mer, est hospitalisé en urgence  dans un hôpital de Bordeaux, pour un syndrome confusionnel aigu, précédé depuis 48 heures d’une fièvre supérieure à 40°C, de céphalées intenses. Il n’a pas d’antécédent connu. Ce malade est revenu en avion, il y a 72 heures, d’un voyage de 6 semaines en juin-juillet au Nord Vietnam (région de Hanoi). L’interrogatoire de sa femme, qui ne l’a pas accompagné, mais à qui il a raconté son voyage en détail, nous apprend qu’il a séjourné essentiellement en zones rurales. Il a suivi une prophylaxie anti-palustre régulière par méfloquine, y compris depuis son retour en France. Sa femme a vérifié son carnet de vaccination : il a été vacciné contre la fièvre jaune, injection de rappel en 1999 lors d’un séjour au Sénégal.

A l’examen, la fièvre est à 39,8°C, le pouls est à 110/mn. On note un état confusionnel franc avec désorientation temporo-spatiale et amnésie rétrograde et antérograde. Il y a une raideur méningée franche, sans signe de localisation neurologique.

 

Examens para-cliniques :

VSH : 70 mm à la première heure, CRP à 45 mg/l

NFS : Globules rouges : 4 800 000/mm3, taux d’hémoglobine : 14,8 g/dl

          Globules blancs : 16 720/mm3 dont 82% de polynucléaires neutrophiles.

          Plaquettes : 320 000/mm3

Frottis sanguin, goutte épaisse : absence d’hématozoaires

Scanner cérébral avec injection : absence d’anomalie localisée

Ponction lombaire : LCR clair, 462 éléments blancs/mm3 dont 68% de lymphocytes, protéines : 0,60 g/l, glucose : 3,06 mmol/l, chlorures : 124 mmol/l ; examen direct négatif (Gram, Ziehl) ; recherche d’antigènes bactériens solubles : négative ; examen direct à l’encre de Chine et recherche d’antigènes cryptococciques circulants : négatifs

Radiographie thoracique : ITN

 

Questions

 

1. Quel(s) diagnostic(s) évoquez-vous ?

2. Quel est l’examen complémentaire nécessaire pour confirmer ce diagnostic ?

3. Quels sont les principaux critères épidémiologiques et cliniques qui vous permettent de porter ce diagnostic ?

4. Quel est le traitement de cette maladie ?

5. Quelle est la prophylaxie de cette maladie ?

 

Réponses

 

1.Il s’agit d’une méningo-encéphalite (ME) à liquide clair. Chez ce malade revenant d’une zone d’endémie palustre, le diagnostic à éliminer en premier est un neuropaludisme à Plasmodium falciparum : le malade a suivi une chimioprophylaxie correcte et les recherches d’hématozoaires sont négatives.

Trois autres grandes étiologies doivent être immédiatement évoquées : la tuberculose, la listériose, l’infection herpétique.

- Il n’y a pas d’antécédents de tuberculose, pas de déficit immunitaire évident, le début de la maladie a été brutal, il n’a pas d’hypoglycorrachie, la protéinorachie est < 2g/l et il n’a y a pas d’autre localisation cliniquement évidente de tuberculose.

- La listériose à Listeria monocytogenes  est discutée : il n’y a pas de terrain «débilité», pas d’atteinte neurologique, le LCR est lymphocytaire et non «panaché», le scanner ne montre pas de zones d’hypodensité.

- La ME herpétique à HSV-1 se voit au cours de la primo-infection herpétique. Le scanner montre des lésions bitemporales hypodenses et hyperdenses. La gravité de cette ME impose un traitement immédiat par aciclovir, qui doit être entrepris devant toute encéphalite à liquide clair, lymphocytaire et normoglycorrachique.

D’autres étiologies de ME sont éliminées : méningite purulente décapitée (antigènes bactériens solubles négatifs), cryptococcose neuro-méningée (examen direct à l’encre de Chine, antigènes cryptococciques circulants négatifs).

De même ne sont pas retenus les diagnostics de leptospirose ou de brucellose, mais les sérologies (ELISA, MAT pour la leptospirose ; ELISA pour la brucellose) sont demandées.

Chez ce malade ayant  fait un séjour récent au Vietnam en zones rurales, pendant la période de transmission maximale (mai à septembre), le diagnostic d’Encéphalite Japonaise (EJ) doit être retenu 2. Le diagnostic sera affirmé par la sérologie : recherche des anticorps-anti EJ IgM par ELISA

3. L’EJ est une arbovirose, due à un flavivirus, transmise à l’homme par un moustique du genre Culex. C’est une maladie essentiellement rurale, plus fréquente en saison des pluies (saison où les Culex pullulent). Le réservoir naturel est les oiseaux sauvages (échassiers) qui vivent dans les étendues d’eau (rizières). L’hôte relais est le porc, infecté sur le mode asymptomatique. L’EJ est actuellement la première cause de méningo-encéphalite virale en Asie, en particulier chez les enfants. Elle est en extension, atteignant actuellement à l’ouest le Pakistan et au sud-est les îles du détroit de Torres. Au Vietnam, c’est le nord qui est le plus touché, ainsi que les régions fortement peuplées des deltas du Fleuve Rouge et du Mékong. L’homme influe directement par ses pratiques agropastorales sur le cycle évolutif : les rizières (eaux, oiseaux, moustiques), les porcheries situées prés des habitations humaines, expliquent que l’EJ soit une maladie fréquente en milieu rural.

L’EJ, après une incubation silencieuse de 5 à 15 jours, est cause d’une méningo-encéphalite fébrile avec polynucléose neutrophile. L’évolution est mortelle dans 25% des cas. Des séquelles existent chez 25 à 50% des survivants. Mais, il y a de nombreuses formes asymptomatiques.

4. Il n’y a pas de traitement étiologique. Le traitement est donc symptomatique : paracétamol, hydratation

5. La prévention est assurée par la vaccination par un vaccin inactivé préparé sur tissu cérébral de souris, souche Benjing-1 (JEVAXâ) mis à disposition en France par le biais d’une ATU nominative. Il faut 3 injections S/C de 1ml (0,5 ml chez l’enfant de 1 à 3 ans) à J1, J7, J30 (ou J14). Le vaccin entraîne une protection dans 90% des cas pendant 2 ans. Le délai de protection est de 10 à 14 jours après la troisième injection. La vaccination doit être proposée à tout voyageur se rendant en zone rurale et endémique pendant plus d’un mois. Ce vaccin entraîne des réactions allergiques retardées (jusqu’au 10ème ), ce qui nécessite que la 3ème injection soit faite au moins 10 jours avant le départ.

Une protection non spécifique par les moustiquaires imprégnées, les vêtements longs, les répulsifs est indispensable, compte tenu du mode de contamination.