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Actinomycétome du genou à Nocardia otitidiscaviarum à Mayotte

Actinomycétome du genou à Nocardia otitidiscaviarum à Mayotte

Loïc Epelboin1 (epelboincrh@hotmail.fr), Juliette Woessner1, Céline Roussin1, Thierry Benoit-Cattin2, Philippe Noca3, Claire Godefroy4, Veronica Rodriguez-Nava5, Pierre Aubry6

1 Service de Médecine du Centre Hospitalier de Mayotte, 97600 Mamoudzou

2 Laboratoire de Microbiologie du Centre Hospitalier de Mayotte, 97600 Mamoudzou

3 Service de Chirurgie Orthopédique du Centre Hospitalier de Mayotte, 97600 Mamoudzou

4 Service de Radiologie du Centre Hospitalier de Mayotte, 97600 Mamoudzou

5 Observatoire français des nocardioses Laboratoire de mycologie Faculté de pharmacie - Université Claude-Bernard Lyon 1 8, av. Rockefeller 69373 Lyon cedex 08, France

6 Centre René Labusquière, Université Victor Segalen Bordeaux 2, France et Faculté de Médecine d’Antananarivo, Madagascar, Saint Jean de Luz, F-64 500.

 

Introduction

Les mycétomes sont des infections cutanées chroniques dues soit à des champignons (mycétomes fongiques ou eumycétomes), soit à des bactéries actinomycètales (actinomycétomes). Tous les mycétomes produisent des grains. Si une présentation clinique très proche explique le regroupement nosologique des mycétomes fongiques et bactériens, la prise en charge thérapeutique et le pronostic sont très différents. La découverte d'un actinomycétome à Mayotte présente une double particularité : d'une part, Mayotte ne présente pas les conditions géographiques et climatiques qui conditionnent habituellement la survenue d'un mycétome, d'autre part la bactérie identifiée est une espèce rarement en cause dans les actinomycétomes. Les mêmes remarques avaient été faites lors de la mise en évidence d'un eumycétome à Mayotte en 2006.

Observation 

Un homme de 25 ans d’origine anjouanaise, vivant en situation régulière à Mayotte depuis 10 ans. consulte pour une plaie chronique du genou. L’histoire de la maladie remonte à 1998, suite à un accident de moto avec traumatisme du genou, avec effraction cutanée et pénétration de corps étrangers (sable). Depuis cet accident, il présente une plaie chronique du genou gauche, qui est œdematié, et sur laquelle sont apparues progressivement de nombreuses fistules émettant régulièrement du pus. Il a bénéficié de nombreuses lignes d’antibiotiques et de plusieurs interventions chirurgicales, sans effet. En juillet 2008, il est à nouveau pris en charge en chirurgie orthopédique : des biopsies sont réalisées et l’examen anatomo-pathologique décrit un aspect de mycétome sans plus de précision. Le patient est alors adressé en médecine. L’examen clinique retrouve une tumeur polyfistulisée en regard du genou gauche de 180 x 120 mm environ, ferme, bosselée, modérément inflammatoire et douloureuse. Selon le patient, elles laisseraient  sourdre un liquide tantôt séro-hématique, tantôt purulent avec une émission de grains dont il ne peut préciser la couleur avec certitude. L’examen bactériologique de la biopsie n’est pas contributif et l’examen mycologique, négatif à 48 heures, n’a pas été poursuivi. Le scanner du genou montre une infiltration diffuse des parties molles de la face antérieure du genou sans atteinte ostéo-articulaire. L'absence de caractérisation précise des grains, l’antécédent d'eumycétome à Exophiala jeanselmei sur l’île de Mayotte (1) font débuter un traitement d’épreuve par itraconazole (200 mg x 2/jour). En octobre 2008, un mois après le début du traitement, le patient rapporte une amélioration modérée avec diminution de la productivité des lésions. En décembre 2008, alors que le patient a arrêté le traitement depuis un mois, on constate une évolution nettement péjorative avec majoration du volume et de l’inflammation du genou et réapparition de pertuis avec écoulements purulents. Lors de cette fenêtre thérapeutique, de nouvelles biopsies sont réalisées en janvier 2009 et un traitement par amoxicilline/acide clavulanique (1g/200 mg x 3/jour) est associé à l'itraconazole. L’examen anatomo-pathologique décrit un aspect évocateur de mycétome de nature bactérienne. En avril 2009, après trois mois du nouveau traitement, l’examen clinique montre une aggravation des lésions avec apparition de nouveaux pertuis qui s’étendent vers la racine des cuisses et vers le creux poplité. Le scanner du genou réalisé à 6 mois du précédent montre une aggravation des lésions avec un important épaississement des parties molles et apparition de nombreuses petites collections, sans atteinte osseuse. En l’absence de lésion osseuse, la chirurgie est récusée. Un traitement par triméthoprime/sulfaméthoxazole (160/800 mg X 2/jour) est institué. Fin avril 2009, on obtient une identification tardive : la bactérie isolée est Nocardia otitidiscaviarum. L’antibiogramme est obtenu en juin 2009 montrant une résistance à l'ampicilline, l'amoxicilline, l'amoxicilline + acide clavulanique, la ticarcilline, la ticarcilline + acide clavulanique, la pipéracilline, la pipéracilline + tazobactam, l'imipenème, le méropenème, l'ertapenème, la céfotaxime, la céfépime, l'érythromycine, la vancomycine, le triméthoprime + sulfaméthoxazole, le lévofloxacine et la rifampicine ; intermédiaire pour la ceftriaxone et la ciprofloxacine, et sensible à la gentamicine, la tobramycine, l'amikacine, la minocycline, la linézolide et la moxifloxacine. Après avis auprès du CNR des nocardioses de Lyon, le traitement par triméthoprime/sulfaméthoxazole est poursuivi compte tenu de la mauvaise corrélation connue entre l'efficacité thérapeutique et la résistance in vitro. En août 2009, la doxycycline est ajoutée au triméthoprime/sulfaméthoxazole devant la stagnation des lésions. Fin septembre 2009, en raison d’un état local toujours stagnant, un traitement par amikacine intramusculaire est décidé. Le patient reçoit sa première injection le 22 septembre. Il est alors perdu de vue.

Discussion 

Les mycétomes se présentent cliniquement comme une tuméfaction inflammatoire, polyfistulisée, évoluant sur le mode chronique. Le pied est le plus fréquemment atteint (70 % des cas); la jambe, le genou, les fesses, la main et le bras sont les localisations extra-podales les plus communes. La présence de grains et leur aspect permettent d’orienter le diagnostic. Classiquement, les mycétomes à grains noirs sont d’origine fongique (Madurella mycetomi, Madurella grisea et Leptophaeria senegalensis), ceux à  grains rouges d’origine bactérienne (Actinomadura pelletieri), ceux à grains blancs et jaunes peuvent êtres fongiques ou bactériens (Actinomadura madurae, Streptomyces somaliensis, Nocardia spp.).

La zone d’endémie des mycétomes se situe de part et d’autre du 15ème parallèle, c'est-à-dire dans des zones de climat tropical sec ou semi-aride avec une petite saison des pluies. En Afrique et à Madagascar, les étiologies rapportées sont fongiques et bactériennes, mais très peu de cas d’actinomycétome à Nocardia spp. ont été rapportés, ceux-ci étant plutôt décrits en Amérique du Sud. Les nocardioses cutanées sont généralement dues à N. brasiliensis et sporadiquement à N. asteroides et N. otitidiscaviarum. N. otitidiscaviarum est essentiellement impliquée dans des atteintes pulmonaires et cérébrales. Freland et coll ont réalisé en 1995 une revue exhaustive de la littérature des cas d’infections cutanées à N. otitidiscaviarum, dont 15 seulement sous la forme de mycétomes. Les cas décrits sont proches de celui que nous rapportons.

Le cas rapporté ici est le deuxième cas de mycétome décrit à Mayotte. La première description a été faite en 2006 chez un homme de 49 ans originaire de Grande Comore qui présentait un eumycétome de la cheville à Exophiala jeanselmei. Le climat de Mayotte tropical humide, situe l'île en dehors de la zone d’endémie des mycétomes et rend le diagnostic de mycétome original. Si les mycétomes fongiques échappent rarement à la sanction chirurgicale, les mycétomes bactériens peuvent parfois évoluer favorablement sous traitement médical seul, en l’absence d’atteinte osseuse, grâce à une antibiothérapie prolongée. La résistance très large in vitro, le retard thérapeutique et la mauvaise observance de notre patient  font cependant craindre une évolution péjorative.