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L’alcoolisme à la Réunion

D Ferrandiz, service d’Addictologie, CHD Saint-Denis. Réunion.

 

La lutte contre l’alcoolisme est à la Réunion une priorité de santé publique, soulignée en tant que telle par les conférences régionales de santé successives et qui fait l’objet d’un programme régional de santé ( PRS). Faute d’étude, on ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre de personnes en difficulté avec l’alcool. Toutefois, on estime par calcul projectif à partir des donnés métropolitaines qu’il y a au moins 50 000 consommateurs excessifs et 20 000  alcoolo-dépendants. Une étude récente «un jour donné» effectuée dans tous les établissements de santé nationaux et dont les résultats n’ont pas encore été publiés officiellement, montre que la Réunion est le département qui a la prévalence de consommation d’alcool à problème chez les patients masculins hospitalisés, la plus élevée de France (40% à la Réunion Vs 15% pour la moyenne nationale ).

L’évolution de la consommation d’alcool à la Réunion est difficile à étudier car le mode de calcul est fondé essentiellement sur les ventes et ne tient pas compte de la consommation  touristique ; néanmoins on constate que la consommation moyenne diminue depuis 30 ans passant pour la population totale de 10,3 L /habitant en 1970 (15,7 L/habitant  en métropole) à 8 L/habitant en 1994 (11,7 L/habitant en métropole). Cette consommation moyenne d’alcool a toujours été inférieure à celle de la métropole, ce qui peut paraître discordant au vu de l’importance flagrante de la problématique alcoolique dans le département : cela s’expliquerait par le fort pourcentage d’abstinents (18 % à la Réunion Vs 5% en métropole), une partie de la population ayant alors une surconsommation  massive. On note par ailleurs une mutation des modes de consommation qui diffère de celle observée en France métropolitaine : si le rhum occupe toujours une place prépondérante à la Réunion, on assiste à une augmentation progressive de la consommation de bière et à un moindre degré de vin, alors qu’en métropole les spiritueux gagnent du terrain sur les alcools faibles.

Cette surconsommation d’alcool est à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité élevées : on meurt 6 fois plus de « psychoses alcooliques» - entité mal définie utilisée par l’INSERM comportant les manifestations neuropsychiatriques liées à l’alcoolisation et au syndrome de sevrage- à la Réunion qu’en métropole (moyenne nationale) et 2 fois plus de cirrhose du foie. La surmortalité par cancer des voies aéro-digestives supérieures est relativement moins importante, quoique supérieure à la moyenne nationale, en raison d’un tabagisme féminin  moins développé qu’en métropole.

La comparaison des ICM (indices comparatifs de mortalité) par «psychoses alcooliques et cirrhoses» Réunion/autres régions françaises  ( Fig. 1) est très démonstrative de la surmortalité réunionnaise.

 

Régions

ICM hommes

ICM femmes

Guadeloupe

162

145

Martinique

145

54

Réunion

351

338

Nord

167

236

Ain

84

72

France entière

100

100

 

La prévalence du syndrome d’alcoolisme fœtal constitue un autre triste record de la Réunion : elle se situerait autour de 7/1000 naissances alors que la moyenne nationale serait d’environ 1/1000 (4,8/1000 dans le Nord ).

L’alcoolisme réunionnais comporte  un certain nombre de spécificités : 1) une consommation moyenne par habitant relativement faible mais une morbidité et une mortalité majeures provoquées par l’ingestion massive d’alcool fort dans un contexte nutritionnel carencé, ce qui va à l’encontre de la théorie de Ledermann ; 2) une surconsommation probablement très liée à la structure sociale et culturelle réunionnaise avec en particulier le problème de la place de l’homme créole dans la famille et la société, un phénomène de répétition transgénérationnelle accentué localement et un fort taux de chômage qui pérennise une précarité sociale  favorisant l’alcoolisation.

 

Bibliographie

 

C. Candillier : « Les addictions à l’île de la Réunion », DRASS de la Réunion, 2000

 

DRASS. Service statistique : «Chiffres et indicateurs pour la Réunion – SESI – 1998

 

T. Maillard : « L’alcoolisation fœtale à la Réunion », Thèse pour le doctorat en médecine, 1998

 

ORS Réunion : « L’alcool et ses conséquences sur la santé à la Réunion « , 1998.

 

P. Wind.Nay : «  Les systèmes familiaux en alcoologie réunionnaise », Alcoologie 1998.20(3) : 273-276