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Rein et chikungunya

Rein et chikungunya

Th. Bachelet (1), B. Bourgeon (1), J-P Rivière (2)

(1) Service de Néphrologie, (2) Service d’Anatomopathologie. C.H.D Félix Guyon. Saint-Denis, Réunion

 

Dans ce contexte épidémique, quel est l’impact néphrologique du chikungunya (CHK) ? Existe-t-il une atteinte rénale spécifique ?

A propos d’un cas : Mme R 88 ans a comme antécédent un asthme et une arthrose lombaire. La maladie débute fin janvier avec une altération de l’état général, fébrile, évoluant sur 3 jours. S’associent des douleurs articulaires et musculaires qui conduisent à une chute mécanique, compliquée d’une immobilisation au sol de quelques heures. L’examen initial retrouve une pression artérielle à 90/50, un pouls à 86 bpm, une hypothermie (36°C), chez une patiente désorientée. L’hypovolémie s’associe à un tableau de déshydratation globale. Il existe des arthralgies sans arthrites, des myalgies, des céphalées, mais sans éruption cutanée, un souffle systolique 2/6, une auscultation pulmonaire normale sans polypnée avec une SpO2 à 94% ; un abdomen souple, dépressible, indolore; des aires ganglionnaires libres, une raideur de nuque difficile à interpréter dans le contexte arthrosique, sans déficit sensitivo-moteur. La BU est positive pour les leucocytes et les nitrites et l’hématurie est cotée à 3 croix.

Le bilan d’entrée met en évidence une macrocytose (VGM 102) sans anémie, une thrombopénie à 85000 sans autre anomalie de l’hémostase et un syndrome inflammatoire biologique (CRP 165, HLPNN 10000). Il existe une insuffisance rénale (créatinine 304) avec hypokaliémie (K 3,3), une acidose métabolique (trou anionique 23), une hypocalcémie (Ca 1,88 pour une protidémie à 60), une rhabdomyolyse (CPK 38300). La troponine est augmentée à 3,04 signant une souffrance myocardique.

La radiographie pulmonaire élimine un foyer pulmonaire et une surcharge parenchymateuse. L’ECG montre des signes d’hypertrophie ventriculaire, sans trouble de la repolarisation. L’échographie cardiaque, réalisée dans le contexte d’augmentation de la troponine, confirme l’existence d’une cardiopathie hypertrophique à fonction ventriculaire gauche conservée sans anomalie de contraction segmentaire et associée à un rétrécissement aortique modéré. L’imagerie rénale retrouve des reins de 10 cm, sans obstacle. La prise en charge consiste en une réhydratation isotonique avec alcalinisation des urines, une antibiothérapie probabiliste par ofloxacine, une supplémentation vitaminique et nutritionnelle. L’évolution clinique et biologique est bonne. Le bilan étiologique retrouve un ECBU contaminé, des hémocultures et une ponction lombaire négatives mais authentifie une infection à CHK : PCR plasmatique et cérébrospinale positives ; séroconversion IgM. La cytologie urinaire met en évidence des cellules tubulaires dystrophiques à cytoplasme multivacuolisé, sur un fond de cytologie inflammatoire lymphocytaire, fortement évocateur d’infection virale. L’histologie conclut à une néphropathie tubulo-interstitielle lymphocytaire multifocale. Il existe de surcroît un effet cytopathogène tubulaire. La recherche par RT-PCR n’a pu être réalisée sur tissu frais. L’hybridation in situ est en attente.

Discussion : Cette observation fait discuter une infection à CHK sévère avec atteinte myocardique, neurologique et rénale spécifique. Cette présentation clinico-biologique pourrait aussi correspondre à un tableau gériatrique de décompensations en cascade (chute, rhabdomyolyse, déshydratation,  sepsis, IU, syndrome confusionnel, …). Une atteinte rénale spécifique est possible. En effet, le tropisme cellulaire du CHK dans l’organisme semble ubiquitaire et pose la question d’un matériel viral susceptible de favoriser l’adhésion du virus à l’ensemble des cellules de l’organisme. De plus, l’isolement de plusieurs arboviroses a été réalisé sur des cellules rénales de vertébrés (chien). Il est clairement démontré une association entre maladies virales et rein ; soit directement (BK, virus, VIH, Hantavirus, CMV,…), soit indirectement (VHC et cryoglobuline, VHB et PAN, ….) et on a longtemps cherché des virus comme facteurs déclenchants environnementaux de situations pathologiques à expression rénale (LEAD ,…). D’autres arboviroses ont été décrites comme susceptibles de toucher le rein. Dans l’hépato-néphrite induite par le virus de la fièvre jaune, en plus de l’insuffisance rénale aiguë oligurique, on peut trouver des anomalies du sédiment urinaire et l’existence d’une albuminurie, en particulier, est considérée comme un élément pronostique puissant. On a décrit de rares cas de glomérulonéphrite succédant à certaines arboviroses et un mécanisme à immuns complexes a été suspecté, sans pouvoir être confirmé. Les rhabdomyolyses sévères peuvent aussi conduire à une insuffisance rénale par précipitation tubulaire. Les mécanismes de l’atteinte rénale du CHK peuvent finalement être classé en :

- fonctionnel : fièvre, deshydratation, troubles digestifs,sur terrain fragilisé (décompensation d’insuffisance ranale chronique, polyvasculaire, polymédication)

- Iatrogène : fonctionnel, hémodynamique ou immunoallergique (AINS…)

- spécifique  indirecte (rhabdomyolyse , néphropathie à immuns-complexes….) ou directe (atteinte tubulo-intertitielle et effet cytopathogène direct)

Les moyens pour mettre en évidence une atteinte spécifique sont :

- directs : cytologie urinaire (recherche de cellules à inclusions), effet cyto-pathogène tubulaire sur la PBR, RT-PCR sur tissu frais ou immunofluorescence ou hybridation in situ (en cours de validation).

- ou indirects : atteinte tubulo-interstitielle lymphocytaire ou autre (CIC, mécanismes glomérulaires ou vasculaires)

Il est important pour le clinicien de ne pas méconnaître une atteinte rénale lors d’une infection à CHK. Si dans la plupart des cas elle traduit une dégradation fonctionnelle, une atteinte spécifique semble possible et devrait être recherchée afin d’en préciser l’incidence et l’impact pronostique.

Références

- Puri B et al. Molecular analysis of dengue virus attenuation after serial passage in primary dog kidney cells. J Gen Virol. 1997

- Fonck-Cussac Y et al. Togavirus-like particles in renal epithelium of patients with syqtemic lupus erythematosus. Arch A Pathol Anat Histol 1978

- F Rodhain. Arboviroses. EMC 2001

- Katz IA et al. Glomerulonephritis secondary to Barmah Forest virus infection. Med J Aust. 1997

- Wiwanitkit V. Immune complex: does it have a role in pathogenesis of renal failure in dengue infection? Ren Fail. 2005