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Bilan intermédiaire du protocole « Vigilance Renforcée » Juin 2006 – novembre 2006

Bilan intermédiaire du protocole « Vigilance Renforcée » Juin 2006 – novembre 2006.

Julien Thiria, Jean-Sébastien Dehecq. DRASS Réunion

 

Les actions de la lutte anti vectorielle sont appliquées selon le protocole de « vigilance renforcée », débuté en juin 2006, dans la continuité des mesures de lutte menées durant l'été 2005-2006. Mille deux cent cinquante personnes participent chaque semaine sur le terrain à l'application de ces mesures (communes, collectivités territoriales, Etat, associations). La coordination du protocole, qui relève de l’Etat, a été confiée au PC de crise en préfecture et à la DRASS. La programmation est relayé localement par des Postes de Commandement Avancés (1 dans chaque sous-préfecture) pour faciliter le lien entre la mise en place de la stratégie et les acteurs de terrain (communes, CR et CG). Le protocole de « vigilance renforcée » s’articule autour de quatre mesures : systématiser la lutte anti-larvaire dans les zones urbaines, renforcer les outils d'orientation de la lutte : surveillance entomologique et épidémiologique, prévenir la transmission de la maladie, par l’application d’une intervention ciblée et graduelle autour des cas, renforcer la mobilisation sociale.

 

I – Systématiser la lutte anti larvaire dans les gîtes urbains productifs

Les gîtes urbains productifs sont les lieux où le vecteur rencontre des conditions favorables à sa reproduction. Ces gîtes sont constitués d'une multitude de petites collections d'eau stagnantes naturelles (trou de rocher, bambou coupés) ou artificielles (vases et pots de fleurs dans les cimetières, canaux et caniveaux, déchets, dépôts sauvages, friches ...). Ce niveau d’intervention consiste à démultiplier et systématiser les actions de lutte anti-larvaire pour :

- impacter plus efficacement la population des moustiques, qui colonise un nombre de gîtes larvaires plus limité en raison des conditions météorologiques de l’hiver austral (température, pluies, hygrométrie) ;

- éviter que les gîtes de reproduction des moustiques ne ré-infestent les quartiers qui ont été démoustiqués. 

Deux cent vingt portions de ravines en milieu urbain, 74 cimetières et environ 200 dépôts sauvages ou friches (parmi les plus à risque et dans l'attente d'une élimination) sont traités chaque semaine avec du Bti (Bacillus Thurengiensis Israeliensis), larvicide biologique. Les dépôts sauvages et friches sont recensés lors des interventions (1500 à ce jour) dans les différents quartiers. Les listes réactualisées sont transmises aux communes, compétentes en matière de salubrité générale et de collecte et d'élimination des déchets. Les espaces et lieux publics (écoles, complexes sportifs, jardins publics …) sont régulièrement surveillés pour éliminer les points d’eaux stagnantes et effectuer au besoin les traitements larvicides sur les gîtes résiduels.

 

II- Renforcer les outils d'orientation de la lutte : surveillance entomologique et épidémiologique

Surveillance entomologique. Les indices de densités de vecteurs sont calculés une fois par mois dans 42 quartiers à risque choisis sur la base d’observations entomologiques et épidémiologiques. Le suivi de ces indices permet de suivre l’évolution temporelle des densités, et d'activer des interventions ciblées dans les quartiers, où auront été mesurés des indices entomologiques élevés (Indice de Breteau > 25), selon le même protocole de lutte anti-vectorielle (adulticide et larvicide) que celui des cas groupés (voir III-2).

Les indices relevés durant les mois d’hiver sur ces 42 quartiers sont relativement faibles (Indice de Breteau<10). Les plus grandes valeurs ont surtout été observées dans l’Est et le Nord, après des pluies d’intensité moyennes.

Afin de mieux connaître le vecteur Aedes albopictus, l’l’Institut Pasteur, l’Institut de Recherche pour le Développement et la DRASS mènent des études dans les domaines divers de la  biologie et de l'environnement du moustique : dispersion géographique, bio-écologie, capacité vectorielle, transmission verticale. Les premiers résultats ont montré que le vecteur est présent sur tout le pourtour de La Réunion,  jusqu'à 900 mètres d'altitude environ durant l'hiver austral, et 1200 environ pendant l'été. La transmission verticale (transmission du virus du moustique femelle à ses oeufs), déjà démontrée par l'analyse  d'échantillons in natura, à été confirmée en laboratoire sur des lots de moustiques femelles. La proportion d’œufs contaminés est cependant relativement faible (entre 1/1000 et 1/10 000). Une étude sur l'âge du moustique a montré que les moustiques présents dans les ravines sont plus jeunes que ceux présents autour des habitations. Ce résultat laisse suggérer que les ravines constituent des gîtes de reproduction préférentiels, et que les moustiques colonisent ensuite progressivement les zones habitées.

Surveillance épidémiologique. La surveillance épidémiologique est coordonnée par la Cellule Inter Régionale d'Epidémiologie de La Réunion-Mayotte. Elle consiste à suivre l'évolution de la courbe épidémique grâce au recueil et à l'analyse de tous les nouveaux cas signalés par des réseaux de signalement. Le système existant de signalement des cas (laboratoires, réseau des médecins sentinelles, ensemble des médecins généralistes, réseau de médecins Réunion-Télécom, SAMU, hôpitaux, appel au n° vert, pharmacies…) a été complété en juillet 2006 d'un dispositif de dépistage actif (recherche lors des interventions de traitement dans les quartiers par les agents de lutte, de nouveaux cas de Chikungunya). Ce dispositif permet notamment de détecter les petits foyers émergents (zones géographiques limitées à quelques centaines de mètres, où apparaissent des cas groupés dans le temps, avec transmission locale).

 

III Intervenir autour des cas

Chaque semaine, l'ensemble des cas recensés et des quartiers où ont été mesurés des indices entomologiques élevés (Indice de Breteau > 25) sont cartographiés. La programmation des interventions est réalisée selon 2 protocoles :

III-1 Cas isolés. Chaque cas isolé, identifié par le système de surveillance épidémiologique, fait l’objet d’une intervention ciblée : éducation sanitaire et traitements adulticide et larvicide dans l’entourage (10 maisons), intervention dans les 5 jours après signalement, recherche active de cas et traitement larvicide dans la zone (environ 100 maisons), intervention dans les 10 jours après le signalement.

Si d’autres cas récents sont retrouvés dans l’entourage du cas index, on applique alors le protocole «cas groupés» (voir III-2).

III-2 Cas groupés et indices larvaires élevés. Si des cas de Chikungunya récents et groupés sont repérés par le système de surveillance épidémiologique, ou si des indices larvaires élevés ont été relevés par le dispositif de surveillance entomologique, des mesures de lutte anti-vectorielle sont menées sur un secteur géographique élargi au quartier, comprenant le foyer émergent : J–4 : information de la population par les communes, J0 : pulvérisation spatiale ULV d’adulticide (deltaméthrine) par nébulisateur monté sur véhicule 4x4 et intervention de brigades terrestres : éducation sanitaire, destruction physique des gîtes et/ou traitement larvicide ; repérage actif des cas sur l’ensemble du quartier, J+4 : pulvérisation spatiale ULV d’adulticide (deltaméthrine) par nébulisateur sur véhicule.

Chaque semaine, 15 quartiers font l'objet d'un traitement suivant ce protocole. Depuis octobre 2006, environ ¾ des quartiers sont programmés sur la base d’indices entomologiques élevés. Depuis la mise en place de ce protocole ( 23 mai 2006) et jusqu’à mi-novembre, le suivi des actions fait apparaître le bilan suivant : nombre de maisons visitées 204 112, dont nombre de maisons traitées 128 053, dont nombre de maisons avec occupants absents 75 117, nombre de refus 942, absents 36,8 %, % refus 0,46%.

 

IV – Renforcer la mobilisation sociale

Suite à l’atelier COMBI organisé par l’OMS, la DRASS a élaboré un Plan de Mobilisation Sociale décliné sur les 5 champs de la mobilisation institutionnelle, communautaire, des campagnes publiques d’information, de la communication interpersonnelle et de la promotion des points d’information. Les objectifs poursuivis portent sur l’amélioration conséquente de trois comportements individuels, venant en complément de la lutte anti-vectorielle, de la veille épidémiologique et de l’offre de soins : l’inspection hebdomadaire par chaque foyer des alentours directs de son habitation afin d’éliminer tous les gîtes larvaires potentiels, l’auto signalement au numéro vert de toutes les personnes atteintes par le chikungunya afin de permettre l’intervention des équipes de démoustication dans le périmètre de l’habitation et l’utilisation de moyens de protection individuelle y compris, dans le cas d’une infection, en période de virémie.

Mobilisation institutionnelle. Une mallette pédagogique est en cours de réalisation (DRASS, Rectorat) à destination des élèves du primaire qui sera diffusée en décembre 2006. Les communes bénéficient de formations de formateurs-relais assurées par la DRASS; toutes les initiatives communales font l’objet, sur demande, d’un soutien matériel ou technique de la part de la DRASS (animations de quartier, formation d’agents…).

Mobilisation communautaire. Les principales associations (éducation populaire, services d’aide à domicile, Croix Rouge…) bénéficient, de journées de formation d’informateurs relais, assurées par la DRASS. Ces actions sont en cours de démultiplication avec le Comité Régional d’Education pour la Santé et avec l’Association Réunionnaise d’Education Populaire pour assurer la formation de formateurs relais ; 420 personnes relais ont ainsi été formées en 2006. Les initiatives des associations de lutte contre le chikungunya sont centralisées par la DRASS, afin d’aider à leur réalisation et à leur amplification. Des subventions leur ont été allouées. Quatre soirées délocalisées d’information à destination des personnels de santé ont eu lieu en septembre et octobre 2006, et ont permis, grâce aux contributions des médecins hospitaliers, et des ingénieurs et médecins de la DRASS et de la CIRE, d’apporter une information scientifique à jour et de répondre aux interrogations.

Campagnes d’information et la communication. Une première campagne de communication visant à une nouvelle mobilisation de la population et à une remise à niveau de l’information sur le chikungunya, sa transmission, et les moyens de lutte, a été lancée depuis le 15 septembre 2006 : encarts presses, affichage dans les lieux de passage, spots radio et TV. Une seconde campagne ciblée sur les trois modifications comportementales prioritairement retenues avec l’OMS, ainsi que sur l’accompagnement de la population en cas de reprise épidémique, prendra le relais à compter du 15 novembre 2006, et pour la durée de l’été austral jusqu’en avril 2007. Chaque campagne fait l’objet d’un post-test, afin d’en mesurer la notoriété et la compréhension. L’adhésion et la mise en œuvre des modifications de comportement seront analysées au travers d’un questionnaire. Trois dessins animés destins aux enfants de 6 à 12 ans, ont été produits sur le cycle du moustique, les modes de prévention, et l’infection par le chikungunya. Une bande dessinée en été tirée, distribuée à tous les enfants du cycle primaire et de 6ème. Une émission de télévision, en prime time sur les deux réseaux locaux, a permis de clarifier les connaissances et d’attirer l’attention sur les enjeux du chikungunya. Un point presse hebdomadaire est organisé à la DRASS pour publier les derniers chiffres de l’épidémie, et informer des actions de la DRASS.

La communication interpersonnelle et la promotion des points d’information. Une appropriation individuelle des messages et une traduction effective dans les comportements de chacun sont recherchées par la communication interpersonnelle et la promotion des points de contact entre la population et des sources d’information. La DRASS est présente, au moyen d’un stand d’information, sur les principaux événements (salons, manifestations sportives, grands concerts et festivals) pour délivrer une information personnalisée et actualisée.

- Week-end « Kass’Moustik » les 28 et 29 octobre 2006 de sensibilisation de la population au repérage et à l’élimination des gîtes larvaires, initiée par des associations et des membres de la Cellule Nationale de Coordination des Recherches Dengue et Chikungunya,

- Opération Fleurs des Sables, promouvant l’utilisation de sable humide dans les vases, plutôt que d’eau, à l’occasion de la Toussaint dans les cimetières,

- Numéro vert (0800 110 000) : sa fréquentation a doublé entre août et septembre (+ 119%). Les personnes infectées se signalent au numéro vert, depuis fin septembre, désormais dans les 48 heures après l’apparition des symptômes,

- Site Internet (chikungunya.gouv.fr), piloté par la DRASS qui reprend l’ensemble des informations validées mises à disposition par les services de l’Etat pour le grand public, les professionnels santé/social, les entreprises, la presse…

Les dépenses engagées au titre de la mobilisation sociale s’élèvent à environ 1 200 000 € au titre du deuxième semestre 2006.

 

Bilan – perspectives

Le protocole de « vigilance renforcée » est un protocole qui a été résolument axé sur la lutte anti larvaire préventive, avec des interventions ciblées permettant de limiter les traitements adulticides. Il développe également toutes les actions s’appuyant sur la mobilisation sociale, qui était quasiment inexistante jusqu'en juin 2006.

L’implication de la population dans les actions de démoustication évolue favorablement au cours du temps mais bénéficie encore d’une marge de manœuvre importante (20% de la population ne croit pas que le moustique est le vecteur du Chikungunya). La présence récurrente de friches, dépôts sauvages et déchets sur le domaine public tend à montrer que les actions de communication visant à réduire les proliférations de moustiques au niveau des  gîtes de « négligence » devront encore être menées plusieurs années, voire plusieurs décennies, avant d’être complètement intégrées par la société réunionnaise.

Le traitement systématique des ravines, cimetières et autres lieux de reproduction importants des moustiques avaient constitué, au cours des années 50 et 60, la clé de réussite de l’éradication du paludisme à La Réunion. Ces actions avaient du être abandonnées du fait d’une baisse progressive des moyens humains du service de prophylaxie dans les années 80. Le retour à cette mesure ne pourra que contribuer à faire baisser sensiblement les densités vectorielles, et éviter le ré-ensemencement des quartiers urbains traités. Les interventions sur les gîtes productifs devront cependant être ré-évaluées et optimisées dans l’avenir pour permettre de réduire les effectifs assignés à cette tâche : des petites équipes de 2 ou 3 personnes, autonomes, mobiles et réactives permettraient d’atteindre cet objectif.

Le point fort de ce protocole réside dans la coordination, à la tête de l’Etat, de l’ensemble des acteurs qui œuvrent directement ou indirectement dans la lutte anti vectorielle. Cette coordination qui s’est concrétisée à travers la surveillance entomo-épidémiologique, le renforcement de la mobilisation sociale et le retour aux traitements anti larvaire systématiques, a très certainement contribué, concomitamment aux conditions météorologiques favorables et à l’absence d’épidémie importante dans la zone Océan indien, à infléchir la courbe épidémique et à maintenir durant l’hiver austral un niveau bas de transmission du Chikungunya.

Parmi les principales voies d’amélioration de la lutte anti vectorielle, le renforcement des connaissances sur Aedes albopictus apparaît comme l’une des plus prometteuses. Le projet EntomoChik, qui coordonne toutes les études sur le vecteur à La Réunion, a été élaboré dans l’objectif d’une meilleure connaissance de la biologie du vecteur, des relations vecteur-virus et du rôle des facteurs entomologiques de survenue de cette épidémie, en vue de modéliser et spatialiser le risque entomologique en fonction de données environnementales ou météorologiques. Les résultats obtenus auront un intérêt bien au-delà de La Réunion ou de la sous région Océan Indien, Ae. albopictus étant en expansion dans le monde, y compris en métropole et dans d’autres DOM–TOM. L’Agence Nationale de la Recherche a accordé un financement de 300 000 € au projet EntomoChik.

Les objectifs de la lutte anti vectorielle à court terme visent à poursuivre notamment la mobilisation sociale et les traitements systématiques des gîtes larvaires. Du fait du retour des conditions météorologiques favorables au développement du vecteur avec l’été austral, le protocole sera renforcé par des actions de démoustication préventives ciblées dans les quartiers urbains, et une coordination accrue avec tous les partenaires chargés de la lutte contre les épidémies, conformément aux directives édictées dans le plan de lutte contre le Chikungunya.