Le chikungunya à la Ravine des
Cabris (commune de Saint-Pierre, Ile de la Réunion) : premiers résultats
d’une enquête pluridisciplinaire sur les comportements et perceptions
Bley
Daniel*, Ernst-Vintila Andreea*, Gaimard Maryse**, Soulance Dominique**,
Vernazza-Licht Nicole**
* UMR 6012 ESPACE – DESMID, CNRS/Université de
la Méditerranée
**UMR 5185
ADES – SSD, CNRS/Université Victor Segalen
Introduction.
Dans le cadre du projet de recherche
ANTHROPO-MTV (programme ANR SEST) destiné à étudier la gestion des maladies
transmissibles vectorielles à la Réunion à partir de l’exemple du chikungunya,
nous présentons les premiers résultats d’une enquête quantifiée réalisée à la
Ravine des Cabris (RDC) au Sud de l’île. L’hypothèse générale de la recherche
suppose que la réaction des populations à l’épidémie de chikungunya (chik) a
été dépendante de la conception de leur
qualité de vie, c'est-à-dire de leur capacité à réagir au niveau
individuel et collectif en fonction de leur culture et de leur milieu de vie.
Terrain et méthodes. Au regard des données dont nous disposions sur
l’épidémie et la population affectée en janvier 2007, la RDC constituait une
zone idéale pour réaliser notre enquête : faible altitude, habitat
individuel, espace fortement urbanisé mais encore assez végétalisé, forte
densité d’Aedes, fond créole de population en mutation récente. La zone
d’enquête a été définie et délimitée en lien avec l’équipe d’entomologistes du
LIN/UR016 de l’IRD.
L’enquête a été
réalisée au mois de novembre 2007 auprès de 415 ménages. Elle a été précédée
par des entretiens avec des habitants de l’île et avec différents acteurs
institutionnels et professionnels de santé. Ces entretiens ont été complétés
par des observations de terrain notamment lors des opérations de prévention des
équipes de LAV de la DRASS.
Le questionnaire qui
comportait 4 volets d’étude (cellule familiale, habitat/jardin, recours aux
soins lors de l’épidémie de chik, perception de l’environnement et de la santé)
était posé à un adulte par ménage et complété par une observation des jardins.
L’enquête a été réalisée avec la participation de 10 élèves de Terminale Pro du
Lycée Victor Schoelcher à Saint Louis.
Résultats et discussion
Population
d’étude : Elle est à prédominance féminine (66%) et relativement âgée avec
27,9 % de plus de 60 ans. 62 % sont
natifs de la RDC et des environs et 14,9 % sont des métropolitains. 66,1
% vivent en union, 63,9% sont sans activité et le niveau de scolarisation est
peu élevé puisque 34,2 % ont, au plus, le niveau primaire. Il s’agit aussi d’une population mobile
puisque 25,1 % d’entre eux ont voyagé hors de l’île en 2007 et les déplacements
internes à l’île sont très fréquents même si 20,8 % n’ont aucun moyen de
locomotion personnel.
75,6 % des enquêtés
sont propriétaires de leur maison (parcelle de 600 m2 en moyenne), plutôt
grande (5 chambres en moyenne). 78,4 % des habitations ont une varangue, 31,1 %
une cuisine extérieure, 16 % sont climatisées et 20 % des répondants disent
avoir dormi sous moustiquaire la nuit précédente.
Les jardins sont assez
végétalisés. 64 % ont des animaux domestiques et d’élevage. Les campagnes de
prévention contre les gîtes larvaires semblent avoir eu des effets puisque 90 %
ont des plantes en pot sans soucoupe et que 79,6 % disent nettoyer leurs
gouttières.
Chikungunya et
itinéraires thérapeutiques : 70,5 % des personnes enquêtées (+15 ans)
disent avoir eu le chik, essentiellement entre décembre 2005 et février 2006.
La prévalence est supérieure aux résultats d’autres études et s’explique par
les critères du choix de notre population. 77
% disent s’être alités et 52 % considèrent que la maladie dans sa phase de
crise a duré moins d’un mois. 50 % ont déclaré des rechutes dont 1/3 encore au
bout d’un an et 72 % disent avoir des séquelles, même si 50 % se disent
« guéris ». L’ensemble de ces résultats sont assez concordants avec
les différentes études médicales et sociologiques.
Les enquêtés qui ont
eu le chik disent avoir consulté un médecin (93,1 %) dans la semaine mais avoir
également utilisé des remèdes naturels (48,2 %) en recours complémentaire et
s’être automédicamenté (25,7 %). Les autres recours cités, mais de manières
moins importantes, sont la prière, les kinésithérapeutes, les tisaneurs.
Parmi les remèdes
naturels utilisés, les plus cités sont par ordre décroissant : cœur
de cerise, cannelle, citronnelle, noni, galabert et zamal, cueillis, donnés,
achetés sur les marchés ou en pharmacie selon les cas.
Perception de la santé
et de l’environnement : Les enquêtés imputent la survenue de l’épidémie de
chik à la Réunion à différents éléments (environnement naturel, maladie venue
d’ailleurs, bateau ayant accosté sur l’île, responsabilité politique…) et
principalement à « l’hygiène sur l’île et à une mauvaise gestion des
déchets » (32,5%). Ces résultats traduisent le fait qu’ils ne se sentent
pas responsables de l’émergence de l’épidémie sur l’île. La comparaison avec
d’autres études pourrait permettre de savoir s’il y a un paradigme
environnemental ou s’ils ont intégré le discours des campagnes de prévention et
le lien environnement/santé.
Le degré d’exposition
au chik parmi la population est justifié par des éléments constitutifs de
l’individu : l’immunité, la vulnérabilité, la chance (57,9%)… plutôt que
par un comportement de prévention (17 %) ce qui traduit un sentiment
d’impuissance face à l’épidémie et confirme l’idée d’irresponsabilité
personnelle.
Il faut noter
toutefois que 68,3 % des personnes enquêtées disent s’être protégées durant
l’épidémie, en utilisant principalement sprays/pommades, serpentins et
diffuseurs. Ceux qui ne l’ont pas fait l’expliquent par l’ignorance et le fatalisme.
L’efficacité perçue
des moyens de protection, sur une échelle de 0 à 1, varie de 0,60 (vêtements
imprégnés) à 0,95 (nettoyage des jardins) mais l’accessibilité perçue est plus
faible et va de 0,53 (vêtements imprégnés) à 0,68 (plantes répulsives).
L’ensemble de ces
différents résultats traduit une moindre identification à l’épidémie et ses
conséquences et fait apparaître une capacité perçue d’action assez faible.
Les résultats
précédents sont confirmés par ceux sur la perception de douze risques naturels
et sociaux. On peut noter que les personnes enquêtées sur une échelle de 0 à 1,
accordent une grande importance à l’ensemble des risques puisqu’ils sont tous
valorisés (de 0,82 pour le risque volcanique à 0,94 pour les accidents de la
route) mais qu’elles ne se sentent pas plus concernées que les autres
réunionnais par ces risques (avec un maximum de 0.60 pour les risques liés au
tabac). Malgré l’épidémie récente, le chik n’apparaît qu’en 4ème
position des risques valorisés et en 6ème position en termes
d’identification personnelle à ce risque.
Pour conclure, ces
premiers résultats traduisent, 18 mois après l’épidémie, une faible implication
personnelle vis-à-vis du Chikungunya comme des autres risques liés à la santé
ou à l’environnement et confirment l’importance de la LAV et de la mobilisation
communautaire qui doit y être associée (cf. BEH, nov 2008).