Le syndrome d'Ekbom ou délire de parasitose
Pierre Aubry1, Khaled Ezzedine2
1Professeur visiteur à l'Université
Victor Segalen, Bordeaux2. 11 avenue Pierre Loti, 64500, Saint Jean de Luz (aubry.pierre@wanadoo.fr) - 2Praticien
hospitalier. Centre de référence des maladies rares de la peau de Bordeaux.
Service de Dermatologie. Hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux, 1, rue Jean
Burguet, 33075, Bordeaux.
Animer un site Internet de médecine
tropicale peut entraîner des demandes plus ou moins pertinentes de personnes
ayant fait un voyage sous les tropiques et pensant avoir contracter une maladie
tropicale. C'est ainsi que nous recevons de temps à autre, des courriels ou des
lettres de patients ayant la conviction d'être infectés par un parasite. Ces
messages, toujours accompagnés de photographies des supposés parasites, m'ont
toujours paru quelque peu « délirants ». J'ai été bien ennuyé pour
répondre, demandant à chaque fois aux patients de dire à leur médecin traitant
de prendre contact, s'il le désirait, avec moi, ce qui a arrêté, en général, la
poursuite de toute correspondance. Ne pouvant mettre un nom sur cette
pathologie, j'ai demandé l'avis d'un spécialiste de dermatologie qui m'a
rapidement éclairé.
Il s'agit du syndrome d'Ekbom qui
est une forme de délire original et rare dans lequel le patient à la conviction
d'être infecté par un parasite.
C'est à la fin du siècle dernier que
deux dermatologues français, Thibierge (1894) et Perrin (1896) ont introduit
respectivement dans la nosologie psychiatrique les termes d'acarophobie et de névrodermie
parasitophobique pour décrire chez certains patients une conviction délirante
d'avoir une infection cutanée parasitaire. En 1938, Ekbom, un psychiatre
suédois, dont la maladie porte le nom, a rapporté 22 cas de délires
parasitophobiques touchant surtout des femmes âgées. En 1946, Wilson et Miller
ont crée le terme de délire parasitaire (delusional parasitosis).
La fréquence exacte du délire de
parasitose n'est pas connue, mais on estime que chaque dermatologue en voit
deux à trois tous les cinq ans. En effet, si les parasites sont rarement vus,
ils sont bien ressentis sous la peau, migrant dans toutes les directions,
empruntant les orifices naturels, atteignant les organes internes, créant des
sensations de picotements et de fourmillements, entraînant des lésions de
grattage, voire des surinfections. Ce qui amène naturellement les patients à
consulter un dermatologue.
Les patients sont le plus souvent
des femmes, sans antécédent psychiatrique connu, particulièrement soigneuses,
qui affirment être infectées par des parasites. Elles apportent à la
consultation dans une boîte des poils, des débris de peau, des débris de tissu…
censés être des parasites. Elles espèrent ainsi convaincre le médecin. Si elles
consultent à distance, elles envoient alors des photographies des
« parasites » recueillis. Elles ont souvent employés de grands moyens
pour recueillir et se débarrasser des parasites, y compris des tentatives
d'extraction à l'aide d'aiguilles ou de ciseaux.
Si le délire de parasitose reste une
maladie rare, une méta analyse réalisée en 1995 a cependant recensé plus de
1200 cas publiés en 100 ans.
Avant 50 ans, le syndrome d'Ekbom
est observé autant chez l'homme que chez la femme, mais il est deux fois plus
fréquent chez la femme après 60 ans. Ce délire peut s'observer dans des couples
et parfois dans des groupes de plusieurs personnes.
Le syndrome d'Ekbom n'est pas
rattachable à une catégorie nosologique bien précise. Le diagnostic
psychiatrique le plus souvent porté est celui de troubles délirants non schizophréniques,
mais d'autres troubles psychiatriques tels que la schizophrénie, les troubles
de l'humeur ont été rapportés.
La prise en charge dermatologique du
délire de parasitose est inefficace. Cependant, le traitement des lésions de
grattage, d'une surinfection est nécessaire. Parfois même un traitement
antiparasitaire pourra être proposé pour faciliter la prise en charge
psychiatrique. Le traitement psychiatrique est essentiellement basé sur la
prise en charge de neuroleptiques. Lorsqu'un état dépressif est présent, un
traitement antidépresseur peut être indiqué en première intention, associé ou
non à un traitement neuroleptique. Un soutien psychothérapique est
indispensable, permettant un accompagnement du patient qui est souvent une
personne âgée. Récemment, il a été proposé par les auteurs anglo-saxons de
préférer au terme de délire parasitaire (delusional parasitosis) celui
de délire d'infestation (delusional infestation) compte tenu que les
éléments de preuve mis en avant par les patients ne sont pas toujours des
parasites.
Références
Aït-Ameur
A., Bern P., Firoloni M.P., Menecier P. Le délire de parasitose ou syndrome
d'Ekbom. Rev. Med. Interne, 2000, 21, 182-186.
Bewley A.P., Lepping P., Freundenmann R.W.,
Taylor R. Delusional parasitosis: time to call it delusional infestation. Br. J.
Dermatol., 2010, 163, 1-2.