La gestion de l’épidémie de chikungunya 2005-2006 à La Réunion par le
médecin traitant
La gestion de l’épidémie de
chikungunya 2005-2006 à La Réunion par le médecin traitant
E. Fenetrier, N. Vernazza, D. Bley, D. Malvy, D. Sissoko,
P. Aubry, B-A Gaüzère
Contexte. La Réunion a connu en
2005-2006 une épidémie sans précédent due au virus Chikungunya (CHIK). Cette
arbovirose tropicale a laissé les médecins libéraux démunis face à une
pathologie inconnue et à un afflux massif et brutal de malades. Ce travail
s’intègre dans le cadre d’un projet du programme environnement-santé de
l’Agence Nationale de Recherche intitulé « Milieu de vie et santé :
la gestion des maladies transmissibles vectorielles à la Réunion à partir de
l’exemple du CHIK ». Il s’agit de comprendre, dans la perspective de
réémergences, comment s’est opérée la gestion du CHIK par les professionnels de
santé et d’étudier notamment les comportements en matière de prévention et de
soins. Cette recherche interdisciplinaire associe anthropologues, géographes,
démographes et médecins.
Matériel et méthodes
Populations. L’enquête a été
menée de mai à juillet 2008, auprès de 100 médecins généralistes libéraux parmi
les 22 communes touchées par le CHIK, à l’exclusion de Cilaos et de la Plaine
des Palmistes.
Questionnaire. Il s’agi d’une
étude descriptive à partir d’un questionnaire de 58 items regroupés en 6
parties : recueil des données personnelles, formations et activités des
médecins ; expérience personnelle et professionnelle du CHIK ; aspect
institutionnel et des informations diffusées au cours de l’épidémie ;
connaissances théoriques sur le CHIK ; connaissances des maladies à
transmission vectorielle et des arboviroses ; avis sur la gestion de la
crise sanitaire et propositions en cas de nouvelle épidémie.
Résultats Données sur les
médecins. Age moyen 49,5 ans, sexe ratio H/F de 3/1.L’ancienneté
moyenne de la thèse est de 18,1 ans. 11 médecins ont un diplôme universitaire
de médecine tropicale et 80 disent suivre régulièrement des séances de
formation médicale continue. La durée moyenne d’exercice à La Réunion est de
17,8 ans. 22 médecins ont exercé dans un autre pays tropical. Pendant
l’épidémie, 9 médecins faisaient partie du réseau sentinelle, 22 d’entre eux
ont participé aux essais sur la chloroquine, et 29 ont eu le CHIK. Le taux
d’informatisation des médecins interrogés est de 64%.
Prévention et prise en charge. Efficacité des pouvoirs
publics : 39% très efficaces, 60% peu efficaces. Répulsifs : 57% très
efficaces, 35% peu efficaces et 7% dangereux. Moustiquaires : 76% très
efficaces, 21% peu efficaces et 3% inutiles. Bracelets répulsifs : 3% très
efficaces, 26% peu efficaces, 65% inutiles, 5% dangereux.
Différentes thérapeutiques.Antalgiques : 28% très
efficaces, 71% peu efficaces. Chloroquine : 6% très efficace, 37% peu efficace,
46% inutile, 4% dangereuse. Cannabis « zamal » : 7% très efficace,
26% peu efficace, 23% inutile, 33% dangereux, 11% sans avis.Plantes médicinales : 2% très efficaces, 34% peu
efficaces, 39% inutiles, 13% dangereuses, 12% sans avis.
Connaissances sur les
maladies à transmission vectorielle présentes à la Réunion. 82%
citent la dengue qui a déjà entraîné 2 épidémies à la Réunion au cours des 30
dernières années et 49% pensent au paludisme. 11% évoquent la leptospirose
présente à la Réunion qui n’est pas une maladie à transmission vectorielle.5% ne savent pas répondre à la question.
Arboviroses auxquelles
la Réunion est exposée. 30% n’ont pas su répondre. La dengue revient le
plus fréquemment, citée par 40%. Les autres arboviroses citées sont le West
Nile (14%), la Fièvre jaune (5%) et la Fièvre de la vallée du Rift (4%). 9
médecins ont donné des réponses fausses en parlant du paludisme, du virus H5N1
ou du virus Ebola qui ne sont pas des arboviroses.
39% des
médecins ne connaissent donc pas la définition d’une arbovirose.
Analyse croisée
Le but est de mettre en évidence
des différences de prise en charge ou de perception de l’épidémie. Différents
groupes ont été comparés en fonction de leur avis sur l’efficacité :
- des actions
entreprises par les pouvoirs publics au niveau de la LAV, des répulsifs, des
moustiquaires, des bracelets répulsifs,
- des
traitements antalgiques prescrits, de la chloroquine, du « zamal »,
des infusions de plantes de la pharmacopée locale.
Il n’existe aucune différence liée
à l’ancienneté d’installation à la Réunion, à l’appartenance au réseau
sentinelle, à la participation aux essais sur la chloroquine et aux réunions
publiques, à l’expérience d’une autre épidémie. Il existe une différence liée à
l’expérience dans un autre pays tropical par rapport à la dangerosité du zamal.
Il existe également une différence liée à la contamination personnelle par le
CHIK par rapport au manque d’efficacité de la LAV, des répulsifs et
antalgiques.
Discussion. Cette étude met en avant des difficultés dans les
échanges des informations entre les pouvoirs publics et les médecins, ainsi
qu’une hétérogénéité des connaissances et des pratiques des médecins par
rapport aux maladies à transmission vectorielle et aux arboviroses.
L’expérience professionnelle en milieu tropical et la formation en médecine
tropicale ont peu joué dans la gestion de cette crise. Il existe une perception
différente du médecin devenu patient, dans le sens d’une plus grande sévérité
de jugement envers « l’extérieur ».
Conclusion.Cette étude montre la nécessité de développer la
formation des médecins sur les maladies à transmission vectorielle et les
arboviroses, et d’améliorer les moyens d’échanges entre les pouvoirs publics et
les médecins. La Réunion et les professionnels de santé sont-ils prêts à faire
face à l’émergence d’une nouvelle pathologie infectieuse ?