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Un cas de fibrose endomyocardique tropicale chez un patient comorien

 

Un cas de fibrose endomyocardique tropicale chez un patient comorien

L. Ursulet (1), E. Braunberger (2), S. Djouhri (1), G. Bossard (1), B. Léauté (1), D. Drouet (1), A. Roussiaux (1), L. Hoang (1), J. Jabot (1), D. Belcour (1), S. Champion (1), B.-A. Gaüzère (1), D. Vandroux (1)

1. Service de réanimation polyvalente, site Centre hospitalier Félix Guyon, CHR de La Réunion, 97405, Saint-Denis. E-mail : lursulet@gmail.com

2. Service de chirurgie cardiaque, site Centre hospitalier Félix Guyon, CHR de La Réunion, 97405, Saint-Denis.

 

Monsieur M. âgé de 23 ans, de nationalité comorienne, immigré clandestinement à Mayotte, a présenté deux épisodes de décompensation cardiaque en juillet et septembre 2009. Malgré le traitement médical, est survenue une 3e décompensation à la faveur d’un épisode de tachyarythmie à 170 bpm avec des signes d’insuffisance cardiaque droite importants (hépatomégalie, turgescence jugulaire, reflux hépato jugulaire, ictère), ainsi qu’un retentissement hépatique (cytolyse et insuffisance hépatocellulaire (TP 33 %). L’échocardiographie montrait une dilatation ventriculaire droite, un ventricule gauche normal (fraction d’éjection ventriculaire supérieure à 60 %), un septum paradoxal, une insuffisance tricuspide de grade III à IV, une insuffisance aortique et mitrale. L’évolution a été contenue par traitement digitalo-diurétique et amiodarone, avant le transfert à La Réunion.

À l’admission dans le service, les bruits du cœur étaient irréguliers avec un souffle systolique 2/6 à l’endapex et l’existence de signes de décompensation droite : hépatomégalie, turgescence jugulaire, œdèmes des membres inférieurs, TA 125/55 mm Hg, pouls 88 bpm. Il existait une dyspnée d’effort, une matité des bases pulmonaires et une hypoxémie modérée ; SpO2 97 % en air ambiant. L’ECG montrait une AC/FA, une déviation axiale droite, un bloc de branche droit complet, une hypertrophie ventriculaire gauche. La radiographie pulmonaire objectivait une cardiomégalie, des épanchements pleuraux prédominant à droite, une dilatation auriculaire et ventriculaire droite, ainsi que du tronc de l’artère pulmonaire.

Au plan biologique, on notait : ASAT 2N, TP = 50 %, clairance créatinine 106 ml/min, BNP=1500 pg/ml, absence d’élévation de la troponine, absence d’hyperéosinophilie.

L’échographie transthoracique montrait : une hypertrophie ventriculaire gauche modérée, une fuite mitrale excentrée de grade III par restriction de la petite valve, une insuffisance tricuspidienne massive, une fuite aortique modérée avec fusion d’une valve, une importante dilatation des cavités droites avec contraste spontané comblement apical du ventricule droit. Le cathétérisme droit-gauche notait une fuite tricuspide majeure, avec insuffisance mitrale de grade II à III, une discrète HTAP (PAPS = 32 mm de mercure), FEVG = 40 %, PTDVG 20 mm de mercure, POD = 22 mm de mercure), et un débit cardiaque effondré : 1,4 l/min par m2.

Les deux diagnostics évoqués sont une fibrose endomyocardique tropicale et une maladie d’Ebstein (déplacement du feuillet septal vers l’apex, avec ou sans absence du feuillet postérieur) nécessitant chacun un geste chirurgical. En peropératoire, le diagnostic de fibrose endomyocardique (FEM) est évoqué en présence d’une fibrose qui impose une endomyocardectomie, une valvuloplastie tricuspide, ainsi qu’une radiofréquence. Les prélèvements anatomo-pathologiques peropératoires objectivent une fibrose aspécifique de l'endocarde et une dysplasie fibreuse myocardique, confirmant le diagnostic de FEM.

L’évolution postopératoire se complique d’un choc cardiogénique nécessitant l’implantation d’une circulation extracorporelle artérioveineuse permettant une assistance cœur droit-cœur gauche (ECLS) à J2 et une ré-intervention avec annuloplastie mitrale à J6. Malgré la radiofréquence et un traitement par amiodarone, le patient présente toujours une alternance d’AC/FA et de rythme jonctionnel et reste pace maker cardiaque dépendant. D’autres complications émaillent l’hospitalisation : pneumopathie nosocomiale acquise sous ventilation mécanique, suspicion de médiastinite antérieure, hémolyse importante sous ECLS, insuffisance rénale nécessitant une hémodiafiltration continue. L’évolution est finalement favorable et le patient retourne à domicile, pour être réhospitalisé en février 2010 pour un choc septique avec suspicion d’endocardite sur sonde de pacemaker.

La fibrose endomyocardique tropicale a été décrite par Davies en Ouganda en 1948. C’est une myocardiopathie restrictive, spécifique des régions tropicales, d’étiologie inconnue, caractérisée par une fibrose de l’endocarde. C'est une cardiopathie très fréquente dans les pays de la ceinture tropicale, pouvant représenter jusqu'à 20 % des diagnostics échographiques en Ouganda et occasionnant 15 à 25 % des mortalités d’origine cardiaque en Afrique équatoriale. Le processus fibreux peut intéresser le ventricule droit avec un comblement entraînant une régurgitation auriculo-ventriculaire par dysfonction des muscles papillaires : il est alors responsable d’un tableau d’adiastolie avec insuffisance tricuspidienne. Il peut toucher le ventricule gauche avec insuffisance mitrale sévère, hypertension pulmonaire précoce et importante et peut être bilatéral.

La FEM serait la conséquence d’une agression de l’endocarde par les constituants granulaires des polynucléaires éosinophiles. Or, dans la FEM, le taux des éosinophiles est en général normal ou peu élevé, ce qui peut s’expliquer par un diagnostic tardif chez des enfants, des adolescents ou de jeunes adultes porteurs d’helminthiases anciennes (notamment schistosomiases et filarioses), chez qui le processus éosinophilogène est éteint ou peu évolutif.

Une hypothèse environnementale faisant un lien entre la FEM et la consommation de manioc a été émise, basée sur un excès de vitamine D dû au procédé traditionnel de séchage au soleil.

Proche de la FEM, l’endocardite pariétale fibroblastique (EPF) de Loëffler, décrite dans les pays tempérés est une pathologie plus agressive, d'évolution plus rapide, à forte prédominance masculine, s'accompagnant d'une hyperéosinophilie (Maladie de Churg-Srauss ou syndrome éosinophilique primitif de Chusid) et de phénomènes thromboemboliques.

En l’absence d’un traitement chirurgical, l’évolution de la FEM est de mauvais pronostic, avec une mortalité supérieure à 50 % au cours des deux années qui suivent le diagnostic. L’évolution se fait vers l’insuffisance cardiaque réfractaire et le traitement médical cardiologique reste décevant. Le traitement chirurgical consiste en une endocardectomie avec remplacement valvulaire tricuspidien et/ou mitral, selon les lésions. Les suites opératoires immédiates sont émaillées d’une mortalité voisine de 10%. Le pronostic à distance est satisfaisant, la récidive de la fibrose n’ayant jamais été observée.