Infection à Chikungunya à La
Réunion : formes graves « émergentes » de l’adulte en service de
Réanimation du Centre Hospitalier Départemental de Saint-Denis, de mai 2005 à
mai 2006.
B-A.
Gaüzère 1, O. Martinet 1, A.H. Reboux1, G.
Lebrun1, MC Jaffar-Bandjee2
1 Service de Réanimation Polyvalente,
CHD, Saint-Denis, Réunion
2 Laboratoire de Virologie, CHD,
Saint-Denis, Réunion
Le CHK dont la symptomatologie
classique est dominée par un syndrome fébrile, des arthro-myalgies et une
éruption cutanée était considérée comme bénigne, selon les données d’une
littérature ancienne, hormis quelques cas anecdotiques d’encéphalites rapportés
en Asie chez des enfants. Dans la majorité des cas, l'infection par le virus
CHK guérit en effet spontanément au bout de quelques jours. A La Réunion, à la mi-novembre 2006 le nombre de cas estimé par une
enquête de séroprévalence est de 300 000, soit 38,5% de
la population, avec mention du CHK comme cause de décès dans 250 certificats de
décès, sans confirmation biologique dans plus de la moitié des déclarations (F
Favier, non publié).
L’émergence de formes graves. Ont été
considérés comme présentant une forme grave de CHK, les patients admis dans le service de Réanimation du Centre Hospitalier de
Saint-Denis de mai 2005 à mai 2006, dont le diagnostic de CHK était confirmé
soit par RT-PCR, soit par le dosage des IgM spécifiques, et qui ont nécessité
le maintien d’au moins une fonction vitale. Trente-sept patients en phase
virémique ou au décours immédiat d’une infection à CHK. 16 hommes et 21 femmes
d’âge moyen 57.2 ans, ont répondu à cette définition. Trente et un patients
(86,1%) présentaient de lourds antécédents pathologiques. La forte létalité
(40,5%) des patients présentant des formes graves de CHK est supérieure à la
létalité moyenne du service de Réanimation (23 %).
Les formes
neurologiques. Cinq cas de
méningo-encéphalites ont été observés ; 2 hommes et 3 femmes, âge médian
62,8 ans avec des extrêmes allant de 25 à 78 ans, admis pour des troubles de la
conscience, des convulsions ou des paralysies, avec positivité des IgM dans le
LCR chez les 2 premiers patients en raison du caractère tardif de l’évocation
du diagnostic (deuxième prélèvement de LCR) et de la RT-PCR dans le LCR chez
les 3 derniers patients. Les diagnostics d’autres encéphalites virales ont été
exclus. Ces tableaux neurologiques avaient été précédés de signes cliniques
typiques d’infection à CHK : fièvre brutale et élevée, arthralgies et
éruption cutanée.
Au plan des examens complémentaires, le LCR était clair avec
RT-PCR ou IgM spécifiques positives, TDM normale, IRM normale (T1, T2 et Flair
dans quelques cas). L’EEG était normal ou microvolté avec des ondes thêta et
delta. Le traitement initial a consisté en aciclovir (30 mg /kg /j) dans
l’attente de la confirmation biologique du diagnostic chez les deux premiers
patients admis en 2005, en traitement empirique d’une éventuelle encéphalite
herpétique. Tous les patients ont eu recours à la ventilation mécanique, la
durée moyenne de séjour en réanimation a été de 15, 8 jours. Deux patients
étaient indemnes de toute pathologie antérieure. Un patient est décédé, les 4
autres ont présenté des récupérations de bonne qualité après quelques semaines
d’évolution.
Deux patientes atteintes de
polyradiculonévrites (Syndrome de Guillain Barré) ont été admises
respectivement en décembre 2005 et en mai 2006. Une femme 51 ans, hypertendue
et diabétique a présenté 3 semaines après une forme typique CHK, une diplégie
faciale avec tétraparésie ascendante, LCR : protéines 1,44 g/l, GB 1/mm3).
L’évolution a été favorable sans séquelles après 12 jours de ventilation
mécanique. Une femme 49 ans, sans antécédents, a présenté une diplégie faciale
et paralysie ascendante : LCR 1.28 g/l, GB 7/mm3.
ventilation mécanique pendant 9 jours et récupération complète en 3 semaines.
Chez les 2 patientes, l’EMG était caractéristique et les IgM ont été retrouvées
dans le sérum et le LCR. Les deux patientes ont reçu un traitement par
Immunoglobulines polyvalentes par voie intraveineuse, traitement habituel des
polyradiculonévrites.
Les atteintes hépatiques graves. Cinq patients ont été admis pour hépatite aiguë grave : 2 hommes
et 3 femmes, âge moyen : 47,6 ans, extrêmes 40-59 ans, durée moyenne 4,6
jours, extrêmes de moins de 24 heures à 14 jours. La notion d’éthylisme
chronique a été retrouvée chez 4 patients, le cinquième était porteur d’une
drépanocytose homozygote, avec atrophie hépatique et éthylisme occasionnel. La
plupart des patients avaient reçu du paracétamol ou du dextropropoxyphène sans
précisons sur les doses ingérées. Les paracétamolémies étaient inférieures aux
doses admises comme étant toxiques. L’ictère était constant et les 3 femmes ont
présenté des défaillances multiviscérales profondes nécessitant des moyens
lourds de réanimation, suivies du décès. Les deux hommes ont survécu.
Au plan biologique ont été notées : une cytolyse
hépatique avec prédominance des ASAT sur les ALAT : (268 +/- 184 N) Vs (75
+/- 70 N), TP inférieur à 50% avec nadir : 32 +/- 15%, facteur V : 28 +/-
15%. Les autres causes d’hépatites aiguës ont été éliminées.
Les examens de tissu hépatiques réalisés chez trois patients (dont deux en
post-mortem) ont montré un aspect d’hépatite aiguë dans deux cas. Au plan
anatomopathologique, deux types d’atteinte sont rencontrés : une hépatite
nécrosante sub massive proche de celles décrites dans les viroses hémorragiques
et des nécroses limitées péricentrolobulaires associées à une hépatite modérée
à cellules rondes. En immuno-histochimie, ont été retrouvées des inclusions
dans les cellules de Kupfer et à un degré moindre dans les hépatocytes.
Décompensations d’états
pathologiques antérieurs. Six patients ont été admis dans des tableaux de
cardiopathie décompensées (1 homme et 5 femmes, d’âge moyen : 76 ans,
extrêmes de 62 à 89 ans), durée moyenne 2,3 jours (extrêmes de moins de 24
heures à 5 jours). Cinq patients ont décompensé en phase virémique, et quatre
étaient porteurs d’une cardiopathie connue, un était hypertendu et diabétique
sans cardiopathie connue, le dernier était éthylique chronique. Quatre patients
sont décédés.
Vingt patients ont été admis pour d’autres types de
décompensation : 12 hommes et 8 femmes, âge moyen 52,3 ans, extrêmes 37 -
82 ans. Durée moyenne de séjour : 9, 9 jours, extrêmes de 1 à 32 jours.
Neuf patients ont été admis en phase de virémie et 11 après la virémie.
Troubles de conscience (3), choc septique avec insuffisance rénale (4),
défaillance multiviscérale (3), insuffisance respiratoire (3), chute (1),
infarctus du myocarde (1), insuffisance rénale isolée (1), accident vasculaire
(1), arrêt cardiaque (1)… Huit patients sont décédés.
Discussion. Bien que la littérature fassent état de plusieurs
cas anciens d’atteinte neurologique grave chez des enfants asiatiques, avec un
décès et deux séquelles, les manifestations neurologiques graves chez l’adulte
n’avaient jamais été décrites au cours de l’infection à CHK. La normalité de
l’imagerie cérébrale dans les formes sévères de méningo-encéphalites, y compris
en IRM contraste avec ce qui est observé au cours d’autres atteintes virales,
en particulier les infections par l’herpes virus et au cours des encéphalites
par transmission materno-néonatale (lésions cérébrales ont été observées en IRM
de diffusion). Le pronostic favorable des atteintes neurologiques justifie une
prise en charge symptomatique optimale en milieu de réanimation.
A
la différence de la dengue, les manifestations hépatiques graves n’avaient jamais
été décrites au cours de l’infection à CHK. La positivité de la RT-PCR Chik
chez les 5 patients suggère des complications hépatiques en phase de virémie.
L’hépatotoxicité virale propre est évoquée, mais il existe des cofacteurs
systématiques : alcoolisation et/ou prise de paracétamol, recours à la
pharmacopée locale. L’étiologie de ces hépatites aiguës fulminantes apparaît
donc multifactorielle. Conséquence des pathologies de transition et de
superposition, les Réunionnais sont poly-pathologiques beaucoup plus tôt que
les métropolitains. La prévalence de l’hypertension artérielle, du diabète et
donc des pathologies dégénératives (insuffisance rénale, coronaropathies), sur
fond de forte alcoolisation est plus élevée qu’en métropole. La nature de la relation
entre ces personnes âgées et fragiles et le CHK reste à préciser, mais rappelle
la morbidité et la mortalité liées à la grippe banale pendant les hivers de
l’hémisphère Nord. Peuvent être suggérés les facteurs aggravant de la
déshydratation majorée par les fortes chaleurs de l’été austral, de la
tachycardie et la toxicité des drogues (AINS, paracétamol, corticoïdes…) et de
la pharmacopée locale (herbages et décoctions à visée immunostimulantes…).
A la
Réunion, pendant la même période, le nombre de formes graves biologiquement
confirmées chez des patients âgés de plus de 10 jours et nécessitant le
maintien d'au moins une fonction vitale en réanimation s’est élevé à 178 cas,
avec 55 décès. Des facteurs de co-morbidité ont été retrouvés chez 87patients (61%).
L’âge médian des décès est de 79 (0-102) ans, avec un sex ratio équilibré.
Quarante-sept cas de transmission materno-fœtale ont également rapportés pour
la première fois, lors des accouchements en phase virémique du CHK, avec
séquelles neurologiques chez une dizaine de nouveau-nés.
Conclusion. La
nosologie de ces formes émergentes qui occasionnent une forte létalité reste à
préciser. L’éventuelle traduction clinique des mutations du virus observées en
cours d’épidémie n’est pas établie.