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Evaluation de l’épidémie de Chikungunya au sein de la Gendarmerie nationale à la Réunion

Evaluation de l’épidémie de Chikungunya au sein de la Gendarmerie nationale à la Réunion.

Jean-Paul Boutin1, Hugues Tolou1, Benjamin Queyriaux1, Marc Grandadam1, François Favier2, Michel Setbon3, Jean-Louis Méliet4.

1Institut de médecine tropicale du service de santé des armées, Le Pharo, Marseille, France. 2Centre d’investigation clinique de la Réunion (INSERM), centre hospitalier sud Réunion, Saint-Pierre, Réunion. 3Laboratoire d’études de la sociologie du travail, CNRS, Aix en Provence, France. 4Forces armées de la zone sud de l’océan Indien, Saint-Denis, Réunion.

 

Une épidémie à virus Chikungunya s’est développée à l’île de la Réunion et dans les îles voisines du bassin sud-ouest de l’océan Indien en 2005-2006 avec une ampleur et des caractères épidémiologiques non documentés jusque là.

Objectifs : Dans le but de mesurer les taux d’attaque, la corrélation entre les signes cliniques et la sérologie, le taux des formes asymptomatiques, une étude de la séroprévalence au Chikungunya a été lancée en phase résolutive de l’épidémie sur un échantillon de la population réunionnaise. Elle a été couplée à une étude sociologique destinée à évaluer les comportements face à l’épidémie et l’adhésion aux mesures recommandées.

Matériel et méthodes : Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective et nominative, portant sur des paramètres épidémiologiques, virologiques et sociologiques. L’échantillon de population était constitué des membres militaires de la Gendarmerie nationale présents à la Réunion en séjour de longue durée (2 ou 3 ans, n=727). L’étude s’est déroulée du 19 au 30 juin 2006. Un questionnaire était soumis aux sujets, avec des questions portant sur les signes cliniques ressentis, l’habitat, la perception du risque. Il était accompagné d’une notice d’information recueillant le consentement informé des sujets, et remis au médecin consultant le jour du prélèvement sanguin. Les échantillons de sang ont été prélevés sur un tube sec et un tube hépariné, centrifugés, aliquotés, conservés puis transportés à -20° C au laboratoire de virologie de l’IMTSSA (Marseille). Après réchauffage progressif des sérums à 37° C, ont été pratiquées les sérologies (IgG et IgM) sur les virus Chikungunya, dengue et West Nile. Les résultats individuels ont été adressés aux intéressés et à leur médecin.

Résultats préliminaires : L’enquête a recueilli 671 prélèvements sanguins, 662 questionnaires renseignés et 661 paires prélèvements – questionnaires (87,3 % de la population étudiée). La cohorte était composée de 94,7 % d’hommes, d’âge médian 40 ans (19 – 55). Le taux d’incidence clinique déclaré était de 23,4 %, pour une période d’exposition de janvier 2005 à juin 2006. La séroprévalence au Chikungunya (IgG et/ou IgM) était de 19,2 % en juin 2006. Les séroconversions strictement asymptomatiques représentaient 3,1 %. La corrélation entre la sérologie et la clinique s’établissait de la manière suivante :

 

 

 

Sérologie CHIK +

Sérologie CHIK –

Cas cliniques déclarés

23,4 %

15,9 %

7,5 %

Non symptomatiques ou inconnus

76,6 %

3,2 %

73,4 %

 

100,0 %

19,1 %

80,9 %

 

La séroprévalence des Flavivirus (Dengue et WN) était de 18,2 %, dont 3,9 % IgM+.

La symptomatologie de la phase aiguë était constituée de fièvre pour 86,5 % des cas (durée moyenne 3,7 j., maxima moyens 39,6° C), d’asthénie (84,5 %), de céphalées (74 %), d’arthralgies (doigts 76 %, poignets 74 %, chevilles 68 %, pieds 68 %), d’atteintes du moral (40,1 %). L’étude révèle 6,7 % de formes hémorragiques  mineures. Il n’est pas rapporté de formes graves. Les arrêts de travail ont concerné 66,7 % des sujets (durée moyenne : 6,7 j.). La phase "chronique" a concerné 93,7 % des malades, 58,8 % rapportent des poussées douloureuses entrecoupées de périodes de rémission ; 47,4 % étaient asthéniques, 39,8 % atteints au moral, et 11,7 % fébriles (moyenne des max. : 38,7° C) et 42,4 % ont bénéficié d'un arrêt de travail à cette phase (durée moyenne 9,0 j.).

Discussion : Le taux d'incidence observé dans la population générale de la Réunion (INSERM, F. Favier) était de 38 %. La différence avec notre cohorte (19 %) peut s'expliquer par le fait qu'il ne s'agit pratiquement que de sujets masculins, excluant les âges extrêmes, appartenant à une catégorie socioprofessionnelle unique sans sujets défavorisés, avec des conditions d'habitations moins variées, et par éducation plus enclins à se conformer aux consignes de protection antivectorielle. Le taux d'incidence des formes asymptomatiques était plus faible que dans l'étude INSERM (3,2 vs 6%), peut-être lié au caractère particulier de l'échantillon. On note toutefois que les formes cliniques seules donnent, en période épidémique, une bonne estimation du taux d'incidence réel (23 vs 19 %). La circulation concomitante de virus dengue et West Nile peut être évoquée devant le taux élevé de leur séroprévalence avec 3,9 % de positifs en IgM sans pouvoir exclure la possibilité d'une réaction croisée. Il serait de plus intéressant de connaître le passé immunologique (séjours antérieurs en zone tropicale) des sujets IgG+. Le taux des formes cliniques séronégatives fait évoquer la confusion avec une autre affection fébrile non recherchée dans cette étude, aussi bien que le rôle joué par la technique de préparation des échantillons : les  premiers dosages effectués sans réchauffage particulier, indiquaient 30 % de séronégativité parmi les cas cliniques. Après réchauffage progressif des échantillons à 37° C, ce taux n'était plus que de 7,5 %. L'intervention de cryoglobulines peut également être évoquée.

Conclusion : En l'état, cette étude donne une photographie d'un échantillon particulier de la population de la Réunion, à un instant donné. Elle doit être complétée par les données du questionnaire en cours de dépouillement, et comparée aux résultats de l'étude portant sur la population générale, afin de tenter de clarifier le déterminisme des différences.