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Infection rhumatismale à gonocoque : à propos de deux cas

Infection rhumatismale à gonocoque :  à propos de deux cas

M-C Jaffar-Bandjeea,*, O Belmontea, I Degasneb, Z Jaffar-Bandjeec, C Denoixa A Riberab

aLaboratoire de Microbiologie, bService de Rhumatologie, cService d’ortho-traumatologie, Hôpital Félix Guyon CHR de la Réunion, 97 405 Saint-Denis Cedex, La Réunion.  

 

Introduction. Depuis 1984, Neisseria gonorrhoeae est rarement isolé dans les pays développés, en raison des mesures de prophylaxie mises en œuvre pour lutter contre d’infection par le VIH. Depuis 1996, le nombre de souches de gonocoques isolées augmente à nouveau en même temps que la résistance aux antibiotiques. Nous rapportons deux cas d’atteinte rhumatismale gonococcique, avec une ténosynovite chez une patiente de 51 ans et une arthrite chez un patient de 47 ans.

Cas 1. Femme de 51 ans avec vive douleur de la cheville droite depuis octobre 2007 avec diagnostic initial de synovite tibio-tarsienne traitée par AINS. Une semaine plus tard, cheville inflammatoire augmentée de volume : ponction blanche de la ténosynovite, suivie d‘une infiltration de corticoïdes. Trois jours plus tard, impotence fonctionnelle, nouvelle prescription d’AINS et d’antibiotiques (amoxicilline). Six jours plus tard, consultation d’un chirurgien orthopédiste qui note un point douloureux électif avec rougeur du côté interne, à l’opposé du point d’injection. Il n’y a ni collection, ni fièvre et le traitement est symptomatique (AINS). Le bilan biologique montre une CRP à 7 mg/l et une hyperleucocytose à 12 500Giga/l. La radiologie ne montre ni signe d’ostéite, ni corps étranger. Quinze jours plus tard, tuméfaction rétro-malléolaire interne légèrement fluctuante. L’échographie ne montre pas de collection liquidienne, néanmoins une mise à plat chirurgicale est pratiquée qui montre l’absence de collection liquidienne mais l’existence de  tissu synovial et graisseux  suspect au niveau du tendon d’Achille droit. Les cultures bactériennes des prélèvements per-opératoires reviennent positives à N. gonorrhoeae, les hémocultures sont négatives. L’examen anatomo-pathologique  montre des signes infectieux non spécifiques. Le diagnostic de ténosynovite d’Achille donc est posé. Un prélèvement vaginal ne retrouve pas de germe. L’interrogatoire retrouve une relation sexuelle 2 à 3 semaines avant l’apparition des premiers signes avec contamination par voie muqueuse orale suspectée. Les recherches de syphilis, chlamydia et  sérologie VIH sont négatives. Traitement par ceftriaxone pendant 30 jours. La souche est résistante à la pénicilline G par sécrétion d’une β-lactamase, intermédiaire à la doxycycline et aux fluoroquinolones, mais sensible aux céphalosporines de 3ème génération et à l’érythromycine. L’évolution a été rapidement favorable cliniquement et biologiquement avec normalisation des paramètres inflammatoires en une à deux semaines.

Cas 2. Homme de 47 ans, hospitalisé en service de rhumatologie début juillet 2008 pour arthrite du genou droit évoluant depuis deux mois et demi. Les symptômes ont débutés par un tableau de douleurs diffuses des poignets et des genoux avec fièvre, frissons, courbatures, évoquant pour le patient une récidive du chikungunya. Sous traitement antalgique simple, la symptomatologie s’est amendée, mais avec apparition d’une arthrite du genou droit. Une première ponction articulaire a retrouvé un liquide inflammatoire stérile, riche de 4400 cellules/mm3 et stérile. Deux infiltrations de corticoïdes sont alors pratiquées. En l’absence d’évolution favorable, une deuxième ponction pratiquée deux mois plus tard, met en évidence un liquide puriforme avec 48 000 cellules/mm3 et de rares cocci gram négatif identifiés comme Neisseria lactamica dans un laboratoire de ville. Le patient est alors hospitalisé. A l’admission, le genou est douloureux et empâté avec un flexum de 10°, siège d’une arthrite ; on ne retrouve pas de porte d’entrée cutanée, pas de point d’appel génital. Le bilan biologique montre une CRP à 15 mg/l, une VS à 29/56 mm. La radiographie montre une déminéralisation au niveau des condyles fémoraux et des plateaux tibiaux, et des images d’érosion en miroir de la partie externe du compartiment fémoro-tibial externe et interne. Une troisième ponction du genou est réalisée, suivie d’une ponction-lavage sous arthroscopie du genou droit qui retire de gros débris synoviaux. La culture du liquide articulaire et des fragments synoviaux revient positive à N. gonorrhoeae. Les hémocultures sont négatives. Traitement par 2g de ceftriaxone par jour pendant 4 semaines. La souche était résistante à la pénicilline G par sécrétion d’une β-lactamase, à la doxycycline et aux fluoroquinolones, mais  sensible aux céphalosporines de 3ème génération, ainsi qu’à l’érythromycine. L’évolution a été lentement favorable avec amélioration de la mobilité du genou qui n’est pas encore normalisée après 2 mois de traitement. L’interrogatoire a retrouvé des pratiques sexuelles non protégées quelques semaines avant l’apparition des signes. Les recherches de syphilis, chlamydia ainsi que la sérologie VIH étaient négatives.

Discussion. L’arthrite gonococcique est une complication secondaire à la dissémination sanguine d’une atteinte génitale. L’atteinte articulaire à N. gonorrhoeae est rare et observée chez seulement 0,5 à 3% des patients atteints de gonorrhées génitales. En France, N gonorrhoeae est responsable de moins de 1,7% des arthrites septiques. Un retard de diagnostic et de traitement adapté peut aboutir à la destruction de l’articulation. Cette arthrite est classiquement décrite chez l’adulte jeune. Chez ces 2 patients, la persistance voire l’aggravation du tableau clinique a probablement été facilitée par les injections locales de corticoïdes. Les deux patients ont bénéficié d’un geste chirurgical avec nettoyage lavage, ce qui a permis une meilleure clairance bactérienne et probablement permis l’isolement du germe dans le cas 1 et l’identification de la bactérie dans le cas 2. Nous insistons sur la nécessité de collaboration médico-chirurgicale surtout en cas de ténosynovite afin d’obtenir une documentation bactériologique.

L’isolement du germe est délicat car il s’agit d’une bactérie à pousse difficile et peut nécessiter le recours à la biologie moléculaire qui ne permet toutefois pas l’étude de la sensibilité aux antibiotiques.

Ces observations plaident pour la non prescription aveugle d’antibiotiques, la proportion de souches résistantes à la pénicilline en France métropolitaine étant passée de 10,7% en 2001/2003 à 16% en 2004-2005. Pour ce qui est de la sensibilité à la ciprofloxacine, la proportion de souches avec sensibilité diminuée ou résistantes a augmenté fortement en 2004-2005 (34%), comparativement aux périodes 1998/2000 (5,2%) et 2001/2003 (14,8%). La réalisation d’un antibiogramme permet d’adapter le traitement conformément aux dernières recommandations. En effet, chez les deux patients , N gonorrhoeae présentait une multirésistante à la pénicilline G par β-lactamase, à la tétracycline et aux fluoroquinolones. Il n’existe pas de données concernant Neisseriae gonorrhoeae à l’île de la Réunion. Il est nécessaire d’étudier la sensibilité de ce germe sur des isolats génitaux et son évolution sur plusieurs années, compte tenu de la proximité de pays destination du tourisme sexuel, comme Madagascar.

Conclusion. L’arthrite gonococcique est une éventualité oubliée de nombre de praticiens. Il convient toujours d’évoquer une gonoccocie devant une monoarthrite aigue des grosses articulations des membres inférieurs chez un homme. En raison des résistances associées à plusieurs familles d’antibiotiques, de nouvelles recommandations ont été émises par l’Afssaps en 2005 et le CDC en avril 2007.