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Hépatite E aiguë chez un Français métropolitain résidant à Mayotte

 

Hépatite E aiguë chez un Français métropolitain résidant à Mayotte

Loïc Epelboin1(epelboincrh@hotmail.fr), Céline Roussin1, Elisabeth Nicand2 ,Pierre Aubry3

1Service de Médecine du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), 97600 Mamoudzou.

2Centre National de Référence de l’Hépatite E, Hôpital du Val-de-Grâce – 75013 Paris, France.

3Centre René Labusquière, Université Victor Segalen Bordeaux 2, France et Faculté de Médecine d’Antananarivo, Madagascar, Saint Jean de Luz, 64500, France.

 

Introduction

Le virus de l’hépatite E (VHE) est la principale cause d’hépatites aiguës évoluant sur le mode endémo-épidémique dans les régions tropicales et subtropicales où l’hygiène est la plus élémentaire, c’est-à-dire l’accès à l’eau potable, fait défaut. Au cours des épidémies, ce sont les adolescents et les adultes jeunes (entre 15 et 45 ans) qui sont infectés. Dans les pays industrialisés, si des cas d’HVE peuvent être diagnostiqués chez des patients revenant d’un séjour en zone d’endémie, de plus en plus d’HVE autochtones sont rapportées. Le profil de l’HVE autochtone est différent de celui de l’HVE d’importation qui est sporadique et dont l’origine est le plus souvent inconnue, survenant chez des personnes de plus de 50 ans, parfois dans un contexte de pathologies sous-jacentes.

Cependant, avec la mise en évidence d’un réservoir de virus animal domestique, dont le porc, et sauvage, certains facteurs à l’origine de cas autochtones ont été identifiés : consommation de viande peu ou mal cuite, contact direct avec le réservoir de virus (activité professionnelle ou de loisir).

Cinq génotypes du VHE ont été caractérisés :

- les génotypes 1 et 2, d’origine humaine, responsables d’épidémies dans les pays à faible niveau d’hygiène (Asie, Afrique),

- les génotypes 3 et 4 responsables de cas sporadiques dans les pays industrialisés (Europe, USA, Japon), caractérisés à la fois dans le règne animal (porc) et l’espèce humaine,

- le génotype 5 qui, à ce jour, est strictement aviaire.

Le diagnostic de l’HVE repose sur la détection du virus et les marqueurs sérologiques spécifiques (IGM anti-VHE et IgG anti-VHE). L’infection aiguë par le VHE est reconnue par la présence d’IgM anti-VHE. L’ARN du VHE, détecté par PCR ou RT-PCR, précède l‘apparition des IgM anti-VHE. Les IgG anti-VHE témoignent d’une infection ancienne et guérie et se négativent au cours des années. Nous rapportons l'observation d'une HVE contractée par un français métropolitain résidant à Mayotte.

Observation

Le 8 janvier 2009, M. R, 46 ans, est adressé en consultation de médecine au Centre Hospitalier de Mayotte pour hépatite aiguë. Il s’agit d’un fonctionnaire originaire de la métropole vivant à Mayotte depuis août 2008. Il ne présente pas d’antécédent particulier, les vaccinations contre l’hépatite A, la fièvre jaune, la typhoïde et le DTP sont à jour, mais pas celle de l’hépatite B. On ne retrouve ni alcoolisme chronique, ni usage de drogue, ni traitement médicamenteux régulier. L’histoire de la maladie remonte au 25 décembre 2008 avec une douleur abdominale brutale, accompagnée d'une diarrhée aqueuse. Il rapporte cet épisode à la consommation d’un plat philippin à base de viandes de porc et de poulet achetées à Mayotte, mais les quatre autres convives n’ont pas été malades. Progressivement sont apparus une asthénie, des nausées et des vomissements, une fièvre vespérale à 38.2°C-38.3°C. Un ictère cutanéo-muqueux associé à des selles décolorées et des urines foncées est apparu le 2 janvier 2009. Le 4 janvier, il consulte un médecin de ville qui lui prescrit un bilan biologique, une échographie abdominale et un traitement par triméthoprime-sulfaméthoxazole. Le 8 janvier, devant l’absence d’amélioration, il consulte. L’examen clinique est normal en dehors de l’ictère et d’un abdomen sensible dans son ensemble. La malade signale une intense fatigue. Aucun traitement supplémentaire n’est donné.

Les résultats biologiques du 4 janvier montrent une altération du bilan hépatique avec alanine aminotransferase (ALAT) à 3 857 UI/L; aspartate aminotransferase (ASAT) à 3 862 UI/L, bilirubine totale à 115 mmol/L dont 48 mmol/L de bilirubine conjuguée, gamma glutamyl transferase à 216 UI/L, phosphatases alcalines à 38 UI/L, taux de prothrombine à 96%. La C-réactive protéine à 31,6 mg/l. La numération formule sanguine est normale. L’échographie abdominale montre une infiltration périportale compatible avec une hépatite aiguë.

Le bilan sérologique du 8 janvier montre une sérologie positive pour l’hépatite A (IgG positives, IgM négatives), des sérologies de l’hépatite B (antigène HBs, anticorps anti-HBs et anti-HBc) et de l’hépatite C négatives. Il en est de même pour l'infection au virus de l’immunodéficience humaine, pour la leptospirose, la toxoplasmose, la syphilis, l'infection au virus de la Vallée du Rift, la dengue et la fièvre typhoïde. Le dépistage pour l’hépatite E est positif en IgM (Adaltis® enzyme immunoassay - Pasteur Cerba Laboratory). Des prélèvements sont envoyés au Centre National de Référence (CNR) de l’hépatite E au Val-de-Grâce à Paris qui retrouve une sérologie VHE positive en IgM (11,79 : positive si DO/VS > 1) et négative en IgG (0,20 : positive si DO/VS > 1) et une PCR /VHE positive. Le bilan de contrôle du 28 janvier montre une amélioration du bilan hépatique avec ASAT à 129 UI/L, ALAT à 633 UI/L et bilirubine à 6 mmol/L. Les prélèvements  envoyés de nouveau au CNR retrouvent une sérologie positive en IgM (10,47) et négative en IgG (0,24) et une PCR/VHE négativée (Real Time Taqman PCR Cooper®). Un mois plus tard, le bilan hépatique s’est normalisé, et le patient a complètement récupéré sur le plan clinique. La souche isolée est le génotype 3f.

Discussion

Le virus de l’hépatite E est une cause fréquente d’hépatite dans les pays en voie de développement de la zone tropicale et intertropicale. Des épidémies d’hépatite virale E aiguë ainsi que des cas sporadiques sont fréquents dans le sous-continent Indien, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient et dans les Républiques de l’ex-URSS.

Une revue exhaustive de la littérature (PubMed, Google) n'a pas permis de retrouver de cas clinique ni d'étude de séroprévalence de l’HVE à Mayotte ou dans les autres îles de l’Archipel des Comores. Le cas rapporté présente un tableau clinico-biologique typique d’hépatite aiguë bénigne, diagnostiqué chez un homme de 46 ans, immunocompétent. Le diagnostic a été porte sur la sérologie positive en IgM et sur la PCR/VHE, PCR négativée au contrôle à J21. La souche isolée est le génotype 3, souche « commune » à l’homme et au porc.

La seule source de contamination mise en évidence à l’interrogatoire est la consommation de viande de porc. La consommation de viande de porc constitue un facteur de risque de contamination, si la viande est consommée crue ou non cuite à cœur. La viande de porc a été achetée par le patient dans un supermarché. Il s’agit de viande importée, dont la provenance n’est pas connue.

En conclusion, la source de contamination par le VHE en zone tropicale non endémique, comme les îles de l’océan Indien, peut-être un contact direct avec les animaux (professions à risque) ou la consommation de viande d’animaux infestés. Le potentiel zoonotique du VHE étant établi, il est impératif d’évaluer les risques de transmission et les conséquences cliniques liée à l’exposition au virus, afin de définir les mesures à mettre en œuvre pour en limiter l’expansion.