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Absence de relation entre prise d’ibuprofène et dermatose bulleuse chez les enfants atteints du Chikungunya

Absence de relation entre prise d’ibuprofène et dermatose bulleuse chez les enfants atteints du Chikungunya ?

Herbin G(1), Houdon-Nguyen L(2), Gérardin P(3), Michault A(4), Istria N(1), Prouhet JG(1), Renouil M(2)

(1)Pharmacie, (2)Pédiatrie, (3)Néonatologie, (4)Laboratoire de Bactério Parasito Virologie et Hygiène. Groupe Hospitalier Sud Réunion, 97410 St Pierre

 

Contexte. L’épidémie de Chikungunya à la Réunion connaît une recrudescence depuis fin 2005. Cette arbovirose, due à un alphavirus de la famille des Togaviridae est transmise par un moustique du genre Aedes. Chez l’enfant, la symptomatologie réalise au maximum le tableau d’une prostration fébrile très douloureuse associée à une éruption cutanée, parfois avec dermatose bulleuse. Une restriction excessive des prescriptions d’ibuprofène rend difficile la prise en charge de la douleur et peut favoriser la survenue de surdosage en paracétamol. L’objectif principal de cette étude d’observation rétrospective était de rechercher une relation entre la prise d’ibuprofène et l’existence d’une dermatose bulleuse. Les objectifs secondaires étaient d’évaluer la fréquence des dermatoses bulleuses lors des infections à Chikungunya de l’enfant, mais également d’analyser la prise en charge médicamenteuse de la fièvre et des douleurs lors de cette affection chez l’enfant.

Patients et méthodes. Cette enquête rétrospective a concerné tous les enfants hospitalisés en Pédiatrie Générale au GHSR du 28 nov. 2005 au 26 fév. 2006, pour la prise en charge d’une infection à Chikungunya. Parmi ceux-ci, seuls les enfants ayant présenté une RT-PCR positive ou une sérologie IgM positive ont été inclus. Pour l’ensemble de ces patients, les informations suivantes ont été recueillies : sexe, âge, existence ou non d’une dermatose bulleuse, médicaments antalgiques et antipyrétiques administrés à l’enfant (en ambulatoire et à l’hôpital). La relation entre la prise d’ibuprofène et la présence d’une dermatose bulleuse a été évaluée à l’aide du test du Khi² et la force de l’association mesurée par l’Odds ratio.

Résultats. 120 enfants ont été finalement inclus durant ces trois mois (60% de sexe masculin). La répartition par tranches d’âge était la suivante : 3 nouveau-nés (2,5%), 34 nourrissons âgés de 1 à 3 mois (28,3%), 29 nourrissons de 3 à 12 mois (24,2%), 7 enfants âgés de 13 à 24 mois (5,8%), 14 enfants de 2 à 6 ans (11,7%), 33 enfants de plus de 6 ans (27,5%). Parmi ces 120 patients, 11 (9,2%) ont présenté une dermatose bulleuse (aucun syndrome de Lyell retrouvé). Ces 11 patients étaient tous âgés de 1 à 12 mois. Une RT-PCR sur prélèvement de bulle a été réalisée chez cinq d’entre eux, elle s’est révélée positive dans tous les cas. Le paracétamol a été utilisé pour l’ensemble des patients (100%), l’ibuprofène chez 58 enfants (48,3%), l’acide acétylsalicylique chez 39 nourrissons (32,5%), la nalbuphine pour 36 nourrissons (30%), un autre anti-inflammatoire non stéroïdien (acide niflumique ou kétoprofène) chez 10 enfants (8,3%), la codéine pour 9 (7,5%) et le tramadol pour aucun. Nous n’avons pas retrouvé de relation significative entre ibuprofène et dermatose bulleuse (Khi²=0,19, p=0,66, OR: 1,32 [IC 95%: 0,36- 4,93]).

Commentaires. Dans cette étude hospitalière portant uniquement sur les infections pédiatriques confirmées à Chikungunya, nous n’avons pas retrouvé de relation entre la prise d’ibuprofène et la présence de bulles. Ces résultats sont obtenus avec un biais de sélection important (population d’enfants hospitalisés théoriquement plus graves). Ils traduisent soit un biais de contre-indication (le fait de ne pas donner d’ibuprofène chez les enfants présentant une dermatose bulleuse minore la force de l’association), soit le fait de tiers facteurs non contrôlés dans notre analyse, soit effectivement une absence réelle de relation entre ibuprofène et dermatose bulleuse. L’isolement du génome viral dans les bulles plaiderait plutôt en faveur d’un mécanisme lésionnel primitivement viral sans toutefois argumenter pour autant l’absence de relation. Néanmoins, ces résultats ne soutiennent pas une participation de l’ibuprofène dans la genèse des formes bulleuses de Chikungunya. D’autres travaux sont donc nécessaires pour préciser la relation entre ibuprofène et dermatose bulleuse. A ce stade des investigations, il paraît donc abusif de contre-indiquer l’ibuprofène chez les jeunes patients atteints du Chikungunya.