Atteinte pancréatique
au cours de la leptospirose
D Vandroux1
(david.vandroux@chr-reunion.fr), B Léauté,1 S Champion1,
S Djouhri1, G Bossard1, J Jabot1, A Roussiaux1,
D Drouet1, MC Jaffar-Bandjee2, B-A Gaüzère1.
1 Service
de Réanimation polyvalente, 2laboratoire de bactériologie et virologie,
CHR de La Réunion, site Centre hospitalier Félix Guyon, 97405 Saint-Denis.
Introduction :
L’atteinte pancréatique est une manifestation rare de la leptospirose. Nous
présentons 3 observations de leptospirose avec atteinte pancréatique survenue à
l’île de La Réunion.
Observation 1 : Homme de
46 ans, éthylique chronique, hospitalisé le 13/04/09 pour ictère franc,
douleurs de l’hypochondre droit, sans syndrome méningé, ni détresse
respiratoire, état hémodynamique conservé malgré une AC/FA et un bloc de branche
droit. Il présente une insuffisance rénale aiguë : urée 34 mmol/l (N <
5), créatinine 800 µmoles/L (N < 80), une thrombopénie 34000/mm3
(N > 150 000), une atteinte hépatique (bilirubine conjuguée 250 µmoles/L 250 µmoles/L
(N<17), ALAT 100 UI/L (N =16 - 35 ), PAL 200 UI/L (N = 40 - 120 ), une
hyperlipasémie 4400 UI/l (N = < 190). Le scanner abdominal non injecté
montre une pancréatite œdémateuse avec une petite coulée au niveau de la queue
du pancréas et l’absence de dilatation des voies biliaires. En raison de la
survenue de convulsions, le patient est placé sous ventilation mécanique, avec
support hémodynamique par noradrénaline. L’échocardiographie ne retrouve pas
d’atteinte myocardique. La leptospirose est authentifiée par PCR le plasma et
les urines. Il existe une atteinte rénale anurique nécessitant l’épuration
extra-rénale, une atteinte hématologique (thrombopénie avec hémorragie
digestive, une atteinte hémodynamique (concomitance avec une arythmie sur
hyperthyroïdie ). Après la survenue d’une septicémie à bacilles gram
négatif, le scanner de contrôle montre l’absence d’évolution de la pancréatite
et le patient sort de réanimation au 20ème jour.
Observation 2 : Homme de
55 ans, hypertendu, diabétique non insulino-dépendant, hospitalisé pour ictère
flamboyant, oligurie avec hématurie macroscopique, acouphènes et myalgies.
L’échographie abdominale initiale est normale. Il existe une insuffisance
rénale (urée 32 mmol/l , créatinine 511 µmoles/L), une
thrombopénie 32 000/mm3, une atteinte hépatique (bilirubine totale
656 µmoles/L, conjuguée 456, ASAT 360 UI/L, ALAT 1046 UI/L, TP 69%). La
PCR leptospirose est positive dans le plasma et les urines. La lipasémie est à
865 UI/l au 3ème jour. La tomodensitométrie abdominale montre alors
un épanchement pleural et une infiltration de la graisse péri-pancréatique. Le
second scanner (J10) objective une augmentation de la taille de la tête du
pancréas (6 cm) avec aspect inflammatoire de la région céphalique, une atteinte
inflammatoire du colon droit, une infiltration de la graisse péri-pancréatique
avec coulées pariéto-coliques droite et gauche. Un troisième scanner montre un
abcès en voie de constitution en arrière du colon droit et du caecum.
L’évolution a été défavorable avec choc septique réfractaire (septicémie à E. Coli et E. Aerogenes).
Observation 3 : Homme de
39 ans admis pour une hémorragie intra
alvéolaire d’évolution rapide vers un syndrome de défaillance respiratoire
aiguë et une atteinte multi viscérale. La leptospirose est confirmée. Le
patient est placé sous ECMO veino-veineuse d’oxygénation de sauvetage, puis
l’atteinte myocardique impose la mise en place d’une ECMO centrale
artério-veineuse. L’atteinte pancréatique a été confirmée par une lipasémie à
1200 UI/L, sans confirmation scannographique possible, le patient étant
intransportable. L’évolution a été défavorable dans une tableau d’hémorragies
diffuses et d’insuffisance circulatoire réfractaire.
Discussion
La leptospirose est une
anthropozoonose ubiquitaire, particulièrement fréquente en zone tropicale.
L’OMS fait état de 500.000 cas annuels mondiaux grevés d’une taux de mortalité
de 5 à 25%. En 2005, 327 cas ont été déclarés en France métropolitaine et 365
en France d’outremer. L’incidence annuelle pour 100 000 habitants est par ordre
décroissant : Futuna 1100 ; Nouvelle Calédonie 22,85 ; Polynésie
22,69 ; Antilles 13,47 ; Mayotte 11,44 ; Guyane 8,91 ;
Réunion 5,48. A la Réunion, en 2007, 34 cas possibles et cas confirmés ont été
hospitalisés, 45 en2008.
Les leptospires sont des bactéries
à Gram négatif aérobies strictes de l’ordre des spirochaetales et du genre
Leptospira. On distingue L. biflexa,
saprophyte, et L. interrogans,
pathogène. La classification sérologique identifie 23 sérogroupes et plus de
255 sérovars. Les formes graves peuvent s’observer avec tous les sérogroupes,
mais L. icterro-hemorragicae est le
plus souvent responsable des leptospiroses les plus graves.
La transmission se fait par l’eau
contaminée par les urines des nombreux animaux porteurs et survient
préférentiellement sur des personnes exposés (agriculteurs, jardiniers,
égoutiers…) et chez des sportifs en eau vive.
Plusieurs organes peuvent être
atteints : atteinte rénale (60%), hépatique (75%), thrombopénie (70%),
méningée (25%), pulmonaire (hémoptysie, syndrome de détresse respiratoire
aiguë), myocardique (plus rarement). L’atteinte pancréatique est rarement
décrite au cours des leptospiroses. Une première série autopsique réalisée en
1962 chez 33 cas montrait 12 cas d’atteinte microscopique pancréatique à type
d’infiltration interstitielle par des neutrophiles et lymphocytes et des
nécroses focales. Plusieurs mécanismes pourraient l’expliquer : état de
choc, trophicité particulière d’un sérovar pour le pancréas, lithiase, atteinte
immunologique, iatrogénie médicamenteuse, éthylisme concomitant. Dans la
littérature, les cas documentés présentent des douleurs abdominales et un
ictère, avec parfois une association avec une cholécystite. Pour l’essentiel,
ces cas étaient des leptospiroses graves ou fatales, souvent associées à des
atteintes pulmonaire ou myocardique. L’échographie abdominale apportait peu
d’éléments contributifs et peu de publications rapportent des données
scannographiques. L’amylasémie est souvent augmentée dans les leptospiroses
graves, mais la lipasémie a une meilleure spécificité. Une étude nécropsique
brésilienne en 2003 de 13 cas montrait des lésions d’œdème pancréatique,
d’infiltrat inflammatoire lymphocytaire, d’hémorragies, de congestion et de
nécrose graisseuse, sans corrélation avec l’amylasémie. La majorité des
patients avaient été traités par furosémide (Lasilixâ) dont les
effets délétères sur le pancréas sont bien connus. Deux pour cent des
pancréatites aiguës tout venant seraient induites par des médicaments. Aucun de
nos patients n’avait reçu de furosémide, de ranitidine ou de corticostéroïdes,
molécules susceptibles de causer une pancréatite, du moins avant que la
pancréatite n’apparaisse. La possibilité d’une trophicité particulière pour le
pancréas d’un sérovar présent à La Réunion n’est pas écartée. Cependant, la
répartition géographique locale reste dispersée et il n’a pas été pratiqué
d’identification des souches, le diagnostic étant uniquement confirmé par PCR.
Conclusion : L’atteinte pancréatique,
documentée par la lipasémie ou la tomodensitométrie reste rare et est
possiblement d’origine plurifactorielle, au cours de la leptospirose. Dans
notre expérience, elle constitue un facteur de gravité pronostique.
L’identification des sérovars pourrait être réalisée sur les futurs patients de
la Réunion afin de rechercher une éventuelle relation causale.