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Mycétome fongique a Exophiala janselmei : à propos d’un cas dépisté à Mayotte

Mycétome fongique a Exophiala janselmei : à propos d’un cas dépisté à Mayotte

Dendiével J. (1), Aubry P. (2 )

(1),MD, Centre Hospitalier de Mayotte, BP 04, Mamoudzou, Mayotte, 97 500.

(2) Professeur émérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo, Madagascar, 11 avenue Pierre Loti, Saint Jean de Luz, 64 500.

 

Nous présentons le premier cas de mycétome fongique dépisté chez un Mahorais à Mayotte après six ans d’évolution..

 

Histoire de la maladie 

M. S., cultivateur, né en 1957, originaire de la Grande Comore, vit à Mayotte depuis 15 ans. Il n’a pas d’antécédent particulier, il n’a jamais voyagé hors des Comores. Il consulte en juin 1997 pour une plaie secondairement abcédée de la voûte plantaire du pied gauche. Il lui est prescrit un traitement local. Du mois d’août 1999 au mois de septembre 2004, il consulte régulièrement pour une inflammation récidivante pré-malléolaire de la cheville gauche et reçoit plusieurs traitements antibiotiques sans amélioration notable.

Une première échographie de la cheville gauche faite en 1999 montre des structures complexes nodulo-vacuolaires avec épaississement cutané. Un prélèvement et une biopsie sont réalisés en septembre 2000. L’examen bactériologique met en évidence une infection polymicrobienne à Staphylocoque aureus et à Enterobacter cloacae. L’examen anatomo-pathologique  montre un granulome à corps étrangers.

Une radiographie de la cheville faite en 2003 montre un épaississement des parties molles péri-malléolaires internes et externes sans image de corps étranger. Une deuxième échographie montre une zone très hypo-échogène en regard de la malléole externe qui semble liquidienne en son centre et tissulaire en périphérie, avec en région rétro-malléollaire des zones très hypodenses fortement atténuantes, pouvant correspondre à des corps étrangers.

Nous voyons ce patient  en consultation début juin 2005. L’interrogatoire retrouve la notion d’une blessure en 1997 au niveau de la voûte plantaire du pied gauche par de petites huîtres très coupantes, quelques mois avant le début de la maladie.

A l’examen, la cheville est tuméfiée, bosselée et chaude à la palpation. La peau est épaissie et la lésion criblée d’orifices en paume d’arrosoir d’où sourd du pus, décrit par le patient « comme du sable ». Un prélèvement met en évidence des grains noirs visibles macroscopiquement, et identifie comme agent pathogène Exophiala janselmei (Institut Pasteur de Paris). Un traitement par itraconazole à la dose de 400 mg par jour est débuté, la concentration minimale inhibitrice pour l’itraconazole étant de 0.5 µg/ml.

Un bilan d’extension est pratiqué avec un scanner qui montre un épaississement et une infiltration du tissu cellulaire sous cutané et de la peau et la présence de nombreuses géodes intra-osseuses, notamment astragaliennes et calcanéenes.

La numération formule  sanguine montre une neutropénie modérée variant de 1.7 à 2 giga/l, ce qui est fréquemment retrouvé à Mayotte. La vitesse de sédimentation des hématies (VSH) est à 90 mm la 1ère heure, la C-Réactive protéine (CRP) à 96 mg/l..

La stratégie thérapeutique repose sur un traitement par l’itraconazole, poursuivi si possible pendant un an, en préalable à un geste chirurgical.

Avec un recul de 5 mois, l’évolution est favorable et le patient se déplace sans canne anglaise. La cheville a diminué de volume. Le bilan sanguin est contrôlé tous les 2 mois. En novembre 2005, la VSH est à 46 mm à la 1ère heure, la CRP à 17 mg/l.

 

Discussion

Les mycétomes sont des infections chroniques dues à des agents pathogènes fongiques (ou eumycétomes) ou bactériens (ou actinomycétomes) qui produisent des grains. Ils se situent le plus souvent au niveau du pied et de la cheville. La première description a été faite à Madura (Inde) en 1842 d’où l’appellation de «Pied de Madura ». Les mycétomes à grains noirs sont toujours fongiques, les mycétomes à grains rouges sont toujours bactériens. Les grains blancs (et jaunes) peuvent être  fongiques ou bactériens (1).

Les mycétomes prédominent dans les régions tropicales semi-désertiques de l’hémisphère nord de part et d’autre du 15ème parallèle. Les 3 grandes zones d’endémie sont le Mexique, l’Afrique et l’Inde. La zone d’endémie africaine va de la Mauritanie et du Sénégal jusqu’à Djibouti, la Somalie et le nord du Kenya. Il existe un lien entre le climat et la répartition du mycétome à savoir une longue saison sèche, une courte saison des pluies, et une pluviométrie annuelle allant de 50 à 800 mm par an (1). On retrouve également un foyer endémique dans la région sud de Madagascar, où le climat est de type sahélien (2). En dehors de cette zone, les cas sont sporadiques (1).

Le mode de contamination est cutané. L’inoculation se fait lors de traumatismes provoqués par des épineux sur lequel vit l’agent mycosique. Etant donné la fréquence de la marche pieds nus ou en sandales non fermées dans ces pays et la fréquence des activités agricoles, la porte d’entrée se situe le plus souvent au niveau du pied.

La période d’incubation est longue, de 1 à 2 ans. L’évolution s’étale sur plusieurs années : en moyenne 5,3 ans au Niger (2), de 6,3 à 8.3 ans en Mauritanie (3).

Sur le plan clinique, on retrouve initialement une douleur et une pesanteur au point d’inoculation, puis une tuméfaction bosselée. La tuméfaction évolue en se fistulisant, et émet du pus contenant des grains (1).

Le diagnostic clinique est confirmé par la biologie : examen direct des grains, analyse microbiologique des grains déposés sur milieu de Sabouraud glucosé à 2% avec antibiotiques (2). Cet examen permet de faire le diagnostic de genre et d’espèce.

Le bilan d’extension du mycétome recherche une atteinte osseuse et une éventuelle dissémination.

L’agent fongique isolé dans notre observation, Exophiala janselmei, est rarement trouvé au cours des mycétomes fongiques. En 1999, on en recensait seulement 14 cas dans la littérature (5). En 2000, une étude sur les mycétomes du Sénégal trouvait pour la première fois deux mycétomes fongiques dus à Exophiala janselmei sur 43 cas (6). Cette espèce est connue comme agent des phaeohyphomycoses, maladies fongiques superficielles et profondes, survenant en général chez des patients immunodéprimés, ne produisant pas de grains.

Le consensus se fait autour d’une prise en charge médico-chirurgicale, associant un antifongique per os en préopératoire, puis une chirurgie d’exérèse. De nombreuses incertitudes existent quant à la durée du traitement médical, au choix de la molécule, et quant au geste chirurgical conservateur ou radical. Dans le choix de la prise en charge médico-chirurgicale, les facteurs à prendre en compte sont la possibilité d’assumer un traitement antimycosique onéreux et l’importance de l’atteinte osseuse. Différentes prises en charges médico-chirurgicale ont été proposées : kétoconazole pendant 2 mois en pré-opératoire, suivi d’une chirurgie conservatrice (4) ou d’une chirurgie radicale en cas d’atteinte osseuse : itraconazole  pendant 6 ou mieux 12 mois, associé si besoin est à une chirurgie conservatrice. C’est la stratégie que nous avons adoptée, malgré l’atteinte osseuse.

 

Conclusion 

Il s’agit du premier mycétome fongique décrit chez un Mahorais à Mayotte et dans l’archipel des Comores. Les eumycétomes sont probablement exceptionnels dans ces régions qui ne présentent pas les conditions climatiques favorables à l’émergence de cette pathologie : en effet, le climat est tropical humide, avec une pluviométrie annuelle de plus de 2500 mm. Cette pathologie doit cependant être connue, afin d’éviter, comme chez notre malade, un long retard au diagnostic.

 

Références 

1) Develoux M, Dieng MT et N’diaye B. Mycétomes. Encycl Med Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Maladies infectieuses, 8-606-A 10 ; 2002, 11p.

2) Develoux M, N’diaye B, Dieng MT. Les mycétomes en Afrique. Cahiers Santé 1995 ; 5 : 211-217.

3) Philippon M, Larroque D, Ravisse P. Mycétomes en Mauritanie, espèces rencontrées, caractères épidémiologiques et répartition dans le pays. A propos de 122 cas. Bull Soc Path Exot 1992 ; 85 : 107-114.

4) Andreu JM. Traitement actuel des mycétomes fongiques : intérêt du kétoconazole associé à une chirurgie conservatrice. Med Trop, 1986 ; 46 : 293-297.

5) Severo LC, Oliveira FM, Vettorato G, Londero AT. Mycetoma caused by Exophiala janselmei. Report of a case sucessfully treated with itraconazole and review of literature. Rev Iberoam Micol 1999 ; 16 : 57-59.

6) N’diaye B, Develoux M, Dieng MT, Kane A, N’dir O, Raphenon G, Huerre M. Aspects actuels des mycétomes au Sénégal. A propos de 109 cas. J Mycol Med 2000 ; 10 : 140-144.