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Fibrose pulmonaire fatale aux bois exotiques

Fibrose pulmonaire fatale aux bois exotiques ?

1 B-A Gaüzère, 2M. Bénichou, 3JP Rivière, 4D. Vitrac, 1Y. Lefort, 1B. Bouchet, 1D. Vandroux, 1S. Champion, 2P. Schlossmacher

1Service de réanimation, 2service de pneumologie, 3service d’anatomo-pathologie, CH Félix Guyon, CHR La Réunion, 97405 Saint-Denis. 4Groupe hospitalier Sud-Réunion, CHR La Réunion.

 

Cas clinique. Monsieur Na… 43 ans, anciennement menuisier en France métropolitaine, présente une dyspnée invalidante depuis environ 3 ans qui l’a conduit à cesser son activité depuis 2 ans et à regagner La Réunion. Après avoir refusé tout suivi médical, il consulte en service de pneumologie en juillet 2008 : il présente une pathologie d’infiltration diffuse à l’origine d’une limitation fonctionnelle sévère (EFR : trouble ventilatoire restrictif majeur, avec baisse de la capacité vitale, de la capacité pulmonaire totale et de la diffusion libre du CO). Une fibroscopie bronchique avec lavage broncho-alvéolaire est réalisée le 15/09/2008 qui objective une alvéolite neutrophile et une contamination pluri microbiennne. Trois jours plus tard, survenue d’un pneumothorax complet gauche imposant un drainage et l’hospitalisation en service de pneumologie puis en réanimation pour détresse respiratoire aiguë. Une biopsie chirurgicale est décidée devant la gravité du tableau qui objective une pneumopathie interstitielle fibrosante en poussée oedémateuse sans caractère de spécificité avec des images de surinfection (multiples abcès), sans germe retrouvé (mycose, parasitose) sur un fond chronique qualifié de non spécifique, au sein de dilatations des bronches. Il existe une zone de résorption de matériel lipidique de nature imprécise. Les biopsies cutanées de lésions erratiques récentes montrent un aspect sclérodermiforme mais ne permettant pas d’affirmer une sclérodermie. Au plan biologique une polynucléose neutrophile est retrouvée ainsi qu’une élévation de la CRP : 90 mg/l. L’évolution a été défavorable avec impossibilité de sevrage ventilatoire, aggravation respiratoire et le décès survient à J8. Les sérologies du lavage broncho alvéolaire révèlent après le décès, la présence de précipitines de bois exotiques positives à la sciure de niagon (3 arcs) et de précipitines (2 arcs) à la sciure d’iroko et de sapelli (Service de parasitologie et mycologie, Pr. L. Million, CHU de Besançon). Cette sérologie est en faveur d’une maladie du poumon des travailleurs du bois méconnue, non explorée. Les recherches d’autres pathologies traditionnellement responsables de la fibrose pulmonaire ont été éliminées par l’analyse anatomopathologique de la pièce et les investigations biologiques pré mortem: maladies de système (auto anticorps, ANCA...), pathologie médicamenteuse, poumons de fermier, poumon des éleveurs d’oiseaux et de pigeon, recherche des antigène solubles d’aspergillus. Les sérologies des légionelloses, chlamydioses et mycoplasmes sont négatives.

Discussion. Le nyagon ou niagon (Terrietia utilis ou Heritiera utilis) est un bois exotique africain, originaire du Gabon, de la famille des Sterculiacées. L’iroko (Milicia exelsa) largement utilisé en ébénisterie et en marqueterie, ainsi que le sapelli (Entandrophragma cylindricum), utilisé pour la fabrication de tables et embarcations sont également des bois exotiques africains. En Cote d’Ivoire, l’écorce de sapelli est également utilisée en décoction lors des accouchements difficiles. Ces bois sont traités en produits insecticides, fongicides et hydrofuges, car matériaux vivants, ils exigent un entretien régulier. Les essences de bois exotiques sont fréquemment incriminées dans la genèse d’allergies cutanées, de crises d’asthme, mais également dans la fibrose pulmonaire (cryptogenic fibrosing alveolitis). Le bois de bouleau a également été incriminé. Toutefois, le nyagon, l’iroko et le sapelli ne sont pas cités dans la littérature médicale, comme cause de fibrose pulmonaire. Le sapelli a été incriminé dans la survenue d’asthme et de dermatites de contact médiées par des IgE. L’alvéolite allergique extrinsèque au bois a été décrite chez les personnes travaillant dans des scieries en Grande-Bretagne, mais également au Canada et en Suède où elle toucherait 5 à 10 % des personnes exposées. L’inhalation de spores fungiques contenues dans le bois jouerait un rôle synergistique aux dommages causés par les agents nocifs potentiels de ces poussières (tanins naturels, phénols, terpènes, saponines colorants, alcaloïdes..).

Conclusion. L’absence de compliance aux investigations respiratoires n’a pas permis le recueil des éléments d’anamnèse fiables, mais l’exposition professionnelle, le contexte, l’évolution clinique, l’analyse du lavage broncho-alvéolaire et l’absence d’autres causes décelables rendent plausible l’hypothèse d’une pathologie infiltrante diffuse aux bois exotiques. Le rôle de moisissures telles que Alternaria, Rhizopus sp, Mucor sp dans la pathogénie des atteintes diffuses secondaires aux poussière de bois, ne peut être exclu. Des mesures de protection des travailleurs exposés aux bois exotique sont nécessaires ainsi qu’un suivi adapté (explorations fonctionnelles respiratoires et mesure de la diffusion libre du CO). Cette pathologie pulmonaire est actuellement recensée sous le numéro 47 des pathologies professionnelles secondaires aux poussières de bois.