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Médicaments antipaludiques : actualités, perspectives.

 

P. Aubry, Professeur émérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo (Madagascar), 11 avenue Pierre Loti, 64.500, Saint Jean de Luz. Tel/Fax : 05 59 26 45 11, e-mail : AUBRY.Pierre@wanadoo.fr

F. Parc, Spécialiste de Biologie Médicale des Hôpitaux des Armées (ER), Jardins de Bourbon, 18 rue du verger, 97 400, Saint Denis de la Réunion. Tel/Fax : 0 262 40 73 50, e-mail : francisparc@wanadoo.fr

 

Le paludisme est une maladie à trois acteurs : le plasmodium, essentiellement Plasmodium falciparum, agent du paludisme grave ; l’homme, hôte réservoir infectant ; l’anophèle femelle, agent vecteur.

 

1. La transmission du paludisme comprend 4 phases :

1.1. le développement parasitaire chez l’homme, depuis la migration du sporozoïte vers le foie jusqu’aux gamétocytes, en passant par le cycle érythrocytaire schizogonique ou asexué, 

1.2. la transmission «homme-moustique»  avec l’ingestion de gamétocytes,

1.3. le développement sporogonique chez le moustique, depuis les gamétocytes dans l’estomac jusqu’aux sporozoïtes dans les glandes salivaires,

1.4. la transmission «moustique-homme», avec l’injection des sporozoïtes.

Les médicaments antipaludiques actuels sont essentiellement des schizonticides actifs sur le cycle érythrocytaire.

 

2. Les cibles plasmodiales des médicaments (2).

Face à la résistance plasmodiale, la compréhension des modes d’action cellulaire des médicaments antipaludiques est essentielle pour optimiser leur emploi et pour comprendre les mécanismes qui sont impliqués dans la résistance. Le plasmodium dispose pour son développement intra-érythrocytaire d’un métabolisme et de moyens de défense spécifiques qui constituent autant de cibles aux antipaludiques. On distingue :

2.1. la vacuole nutritive du parasite qui est le siége de la digestion de l’hémoglobine, de la cristallisation de l’hème et où l’on retrouve des moyens de défense contre le stress oxydant,

2.2. un cytoplasme comportant le cytosol et deux organites essentiels, les mitochondries et l’apicoplaste. Ils sont nécessaires à la biosynthèse des acides nucléiques.

2.3. une membrane plasmique, constituée de phospholipides, de canaux calciques et parasitophores, qui  est le siége du trafic nutritionnel.

 

3. Les modes d’action des principaux antipaludiques actuels (2, 3).

Les principaux antipaludiques actuels peuvent être classés selon leur mode d’action en deux catégories :

3.1. les schizonticides électifs :

Ce groupe comprend les dérivés quinoléiques et les dérivés de l’artémisinine.

3.1.1. Les dérivés quinoléiques : ce sont les amino-4-quinoléines (chloroquine, amodiaquine) et les amino-alcools  (quinine, méfloquine, halofantrine, luméfantrine). Ces molécules interférent avec l’utilisation de l’hémoglobine dans la vacuole nutritive en inhibant la formation de l’hémozoïne.

3.1.2. les dérivés de l’artémisinine (artésunate, artéméther) : cette nouvelle classe d’antipaludiques de type peroxyde interfère aussi avec l’utilisation de l’hémoglobine, par libération de radicaux libres, toxiques pour le parasite. Les dérivés de l’artémisinine ont une action gamétocytocide, qui réduit la transmission et limite les risques de voir émerger des résistances.

3.2. Les inhibiteurs des acides nucléiques ou antimétabolites qui bloquent la division du noyau de l’hématozoaire. Ce groupe comprend  les antifolates, les naphtoquinones et les antibiotiques.

3.2.1. les antifolates : ils sont répartis en deux familles, les antifoliques (sulfamides, dont la sulfadoxine ; sulfones), et les  antifoliniques (proguanil, pyriméthamine). Ils agissent au niveau de la voie de synthèse des folates, qui sont essentiels à la biosynthèse des acides nucléiques. Les antifoliques inhibent la dihydroptéroate synthétase (DHPS) qui produit l’acide folique, les antifoliniques inhibent la dihydrofolate réductase (DHFR)  qui produit l’acide folinique.

3.2.2. les naphtoquinones : l’atovaquone est un inhibiteur puissant des fonctions mitochondriales en bloquant la chaîne de transfert d’électrons au niveau de son enzyme-clè, la dihydroorotate deshydrogénase (DHOdase). Elle a peu d’impact thérapeutique lorsqu’elle est utilisée seule. En combinaison avec un antimétabolite (proguanil), on observe une intéressante synergie d’action grâce à une inhibition séquentielle de la synthèse des pyrimidines. Une originalité de l’association atovaquone-proguanil est son action sur les stades hépatocytaires de P. falciparum.

3.2.3. Les antibiotiques : les tétracyclines (doxycycline), les macrolides (érythromycine, azythromycine, clindamycine) peuvent inhiber la synthèse protéique par inhibition de certaines fonctions de l’apicoplaste.

 

4. Les associations d’antipaludiques (1, 4).

Les nouveaux antimalariques qui ont fait l’objet de développements récents sont tous associés, en bithérapie au moins, et se démarquent de la plus ancienne des associations : la sulfadoxine-pyriméthamine [SP] (FANSIDARâ) capable de sélectionner rapidement des mutants résistants. Certaines sont fixes : l’atovaquone-proguanil (MALARONEâ), l’arthéméter-luméfantrine (COARTEMâ, RIAMETâ), chlorproguanil-dapsone (LAPDAPä), d’autres libres associant toujours un dérivé de l’artémisinine vu la rapidité d’action, l’impact sur la transmission et l’absence de chimiorésistance de P. falciparum : artésunate-méfloquine, artésunate-amodiaquine, artésunate-SP.

En prophylaxie, les associations chloroquine-proguanil (SAVARINEâ) et atovaquone-proguanil (MALARONE®) sont recommandées dans les zones de chloroquino-résistance.

 

5. Les nouvelles thérapeutiques antipaludiques : perspectives (3, 4).

Les différents éléments des trophozoïtes de P. falciparum  sont les cibles des nouvelles molécules en cours d’évaluation. Elles agissent :

5.1. au niveau de la vacuole digestive par inhibition des protéinases vacuolaires qui participent à la protéolyse de l’hémoglobine ;

5.2 au niveau du cytosol par interaction avec le métabolisme du fer : des chélateurs du fer, comme la desferrioxamine, ont montré leur capacité de diminuer la croissance parasitaire ; la ribonucléotide réductase (RNRase), enzyme qui règle la synthèse d’ADN, pourrait être la cible de la desferrioxamine;

5.3. au niveau de la membrane plasmique parasitaire par blocage du transporteur de choline qui  fournit au parasite un précurseur indispensable pour la synthèse de la phosphatidylcholine, principal phospholipide plasmodial, les phospholipides étant les constituants majeurs des membranes du plasmodium ;

D’autre part, la réversion de la chloroquinorésistance chez P. falciparum par des molécules de synthèse et gènes associés aux mécanismes de résistance (Pfcrt et Pfmdr1) a pour objectif de freiner la fuite de la chloroquine hors de l’hématie parasitée (inhibiteurs calciques vérapamil-like).

5.4. au niveau de l’apicoplaste, d’autres antibiotiques pourraient être actifs : les fluoroquinolones, qui bloquent des topoisomérases spécifiques et la fosmidomycine, qui est un inhibiteur de la synthèse des isoprénoïdes.

 

Les récents progrès dans l’identification et le développement de nouvelles molécules devraient permettre d’avoir un choix plus important d’antipaludiques dans un proche avenir. Mais,  les cibles des nouvelles molécules sont identiques à celles des antipaludiques actuels. Il en est ainsi des trioxaquines, nouvelles molécules synthétiques constituées d’un groupement de type quinoléine (comme dans la chloroquine), lié de manière covalente avec un groupement endoperoxyde (comme l’artémisinine).

Y a-t-il d’autres voies thérapeutiques à explorer ?

 

Références 

 

(1) Ambroise-Thomas P. Traitement du paludisme : prévenir les résistances par les associations d’antipaludiques. Med. Trop., 2000, 60, 219-222.

(2) Touze J.E., Fourcade L., Pradines B., Hovette P., Paule P., Heno Ph. Les modes d’action des antipaludiques. Intérêt de l’association atovaquone-proguanil. Med. Trop., 2002, 62, 219-224.

(3) Pradines B., Vial H., Olliaro P. Prophylaxie et traitement du paludisme : problèmes, récents développements et perspectives. Med. Trop., 2003, 63, 79-98.

(4) Danis M. Avancées thérapeutiques contre le paludisme en 2003. Med. Trop., 2003, 63, 267-270.