Le programme Elargi de
Vaccination, trente ans après.
Professeur Pierre Aubry,
Professeur émérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo (Madagascar), 11
avenue Pierre Loti, Saint Jean de Luz, F-64 500. Tel/fax : 05 59 26 45 11.
E-mail : AUBRY.Pierre@wanadoo.fr
Au début des années 1970, cinq millions d’enfants
mourraient chaque année dans le monde à la suite d’une maladie évitable par la
vaccination. Explication : le taux de couverture vaccinale des enfants
étaient alors inférieur à 5%. C’est pourquoi, l’OMS a lancé en 1974 le
Programme Elargi de Vaccination (PEV) contre six maladies :
diphtérie, tétanos, coqueluche, poliomyélite, rougeole et tuberculose. Les
populations cibles sont les
nouveaux-nés et les nourrissons dans leur première année de vie. Ce programme a
été effectif en 1977. Deux autres maladies ont été incluses dans le PEV :
la fièvre jaune en 1988, en zone d’endémie amarile, et l’hépatite à virus B
(HVB) en 1991.
En 1990, les directives de
l’OMS étaient «Eradiquer la poliomyélite, éliminer la rougeole,
contrôler le tétanos néo-natal»*
Plus de 85% de la
population mondiale est vaccinée par le BCG. Pourtant, l’incidence de la
tuberculose dans le monde est en progression : 8 000 000 de nouveaux cas
par an, 1 800 000 décès. La vaccination par le BCG n’empêche pas la
transmission de l’agent pathogène. L’intérêt du BCG est d’éviter les formes
graves de tuberculose chez l’enfant (méningites et tuberculoses disséminées).
C’est pourquoi, l’OMS continue à recommander d’administrer une dose unique de
BCG aux nouveau-nés dès que possible après la naissance dans les pays où la
prévalence de la tuberculose est élevée.
La couverture mondiale par
le DTC est estimée à 80% pour 3 doses chez l’enfant de moins d’un an. La
mortalité reste élevée en ce qui concerne le tétanos : environ 500
000 décès par an et la coqueluche : 279 000 décès par an. Un
problème : le tétanos maternel (TM) et néo-natal (TN) avec 200 000 décès
par TN et 30 000 par TM. Le tétanos ne peut pas être éradique en raison de la
persistance du bacille de Nicolaïer dans l’environnement. Le TN est contrôlé si
le taux de mortalité est inférieur à 1/1000 naissances vivantes. Ce résultat
est actuellement obtenu dans 108/165 PED, 27 PED regroupant 90% des TN dans le
monde. Le vaccin anticoquelucheux est administré sous forme de vaccin DTC
à cellules entières ou acellulaire. Il
y a plus de réactions indésirables avec le vaccin à germe entier, mais le prix
est beaucoup moins élevé : aucun des 50 pays les moins développés n’a introduit
le vaccin acellulaire dans le PEV. La protection conférée par la vaccination
anticoquelucheuse s’affaiblit au-delà de 6 à 12 ans (pays industrialisés). La
couverture vaccinale devrait être d’au moins 90% avec les 3 doses de DTC à la
primo-vaccination. En fait, la couverture vaccinale est faible dans certains
PED: une épidémie de coqueluche en RDC en 1999 a montré que moins de 10% des
enfants avaient reçu la 3ème dose de vaccin DTC.
En 1988, l’Initiative
Mondiale pour l’éradication de la poliomyélite a été lancée par l’OMS avec pour
objectif l’éradication de la poliomyélite en 2005, obtenue par la vaccination
par le VPO. Les résultats ont été spectaculaires : plus de 350 000 cas en
1983, 784 cas vingt ans après en 2003. Mais, on note une reprise en 2004 avec 1
185 cas. Pourquoi ? Plusieurs raisons : le boycottage en 2004 des
vaccinations au Nigeria (un des 6 pays endémiques, avec une couverture
vaccinale de 25%) entraînant une
diffusion des virus sauvages vers des pays africains indemnes ;
l’apparition des Vaccins Derived PolioVirus (VDVP) avec quelques flambées
épidémiques (Madagascar, 2002). Le risque de poliomyélite post-vaccinale (VPO)
et de poliomyélite due aux VDPV est plus important que le risque lié aux virus
sauvages. D’où la décision de l'OMS d'abandonner le VPO sous la protection du
VPI (persistance de la circulation des VDPV, libération accidentelle ou
volontaire de virus sauvages).
L'éradication de la poliomyélite est repoussée à 2008.
La rougeole est la
première maladie infantile mortelle évitable par la vaccination : 610 000
décès par an malgré une couverture vaccinale mondiale de 70%. Pourquoi ? parce que la couverture
vaccinale reste faible dans les PED
(59% en 1999), d’où la reprise immédiate de l’épidémie en cas de cataclysmes
(Darfour, 2004). Dans les PED, les taux d’atteinte élevés et la gravité de la
maladie chez les non-vaccinés exigent une vaccination précoce à 9 mois, malgré
un taux de séroconversion relativement faible (80-85%).Tous les enfants doivent
avoir une 2ème chance de revaccination antirougeoleuse. Les
résultats dans 7 pays d’Afrique australe qui applique cette stratégie sont
remarquables : 60 000 cas en 1996 avec 116 décès, 117 cas en 2000 sans
aucun décès. L’élimination de la rougeole est fixée à 2007.
L’objectif principal de la
vaccination anti-HVB est de prévenir les infections chroniques dues au VHB. Il
y a 300 millions de sujets atteints d’infections chroniques (cirrhose et CHC) et 600 000 décès par an.
Dans les PED où la prévalence du VHB est supérieure à 8% (Afrique tropicale,
Asie du sud-est, Chine), le VHB se transmet de la mère à l’enfant à la
naissance ou de personne à personne pendant la petite enfance. La vaccination
systématique de tous les nourrissons contre l’HVB a été intégrée au PEV en
1991. En 2003, sur 89 pays ayant une prévalence supérieure à 8%, 64 (72%) ont
adopté la stratégie de l’OMS, 35 (53%) injectent une dose à la naissance.
En 1988, l’OMS a
recommandé d’intégrer le vaccin 17 D contre la fièvre jaune au PEV dans les
pays à risque chez les enfants à partir de 9 mois. Il y a en moyenne 200 000
cas de fièvre jaune et 30 000 décès par an (Afrique, Amérique du sud). Le
vaccin 17 D, qui assure une protection de 30 ans et plus, est administré en
même temps que le vaccin antirougeoleux. Les épidémies actuelles reflètent une
application incomplète des stratégies de prévention, la couverture vaccinale
est faible en Afrique, variable en Amérique latine (Brésil : 73%).
Une 9ème
maladie doit être intégrée au PEV : l’infection à Haemophilus influenzae b
(Hib) : 450 000 enfants de moins de 2 ans meurent chaque année de
pneumonie ou de méningite à Hib, en particulier les enfants drépanocytaires. Un
vaccin conjugué contre l’Hib a été homologué en 1887. Il est recommandé à
partir de l’âge de 2 mois. Il peut être associé aux autres vaccins du PEV
(DTCHépB-Hib). La charge réelle de l’Hib est mal connue dans certaines régions
d’Asie et d’Afrique. L’administration du vaccin antiHib est très limitée :
88 pays, dont 8 pays africains. Il existe un vaccin DTCa-Hib-VIP-HépB utilisé
dans les pays industrialisés depuis 2000.
Peut-on recommander en
2005 d’élargir le PEV à d’autres maladies ?
Les infections à
pneumocoques : un million d’enfants meurent chaque année de formes graves
de pneumococcie. Il y a une résistance croissante des pneumocoques aux
antibiotiques. Un vaccin antipneumococcique conjugué 7-valent est disponible
depuis 2000. C’est un vaccin très immunogène. Il devrait être intégré au PEV si
la lutte contre la pneumococcie grave de l’enfant constitue un problème de santé
publique et s’il est démontré que les sérotypes vaccinaux correspondent aux
sérotypes les plus importants rencontrés localement. Encore faudrait-il que ces
sérotypes soient connus. De plus, l’utilisation à grande échelle du vaccin
antipneumococcique pourrait se traduire par un changement important des
sérotypes dominants dans une région donnée.
Les infections à
méningocoques atteignent 300 à 500 000 personnes par an avec 30 à 60 000 décès.
Le sérogroupe A est le plus fréquent en Afrique. Le seul vaccin conjugué
immunogène à notre disposition est le vaccin anti-C monovalent efficace dès
l’âge de 2 mois. L’émergence de nouveaux sérogroupes, en particulier du
sérogroupe W135 en 2 000, oblige à attendre les vaccins conjugués A et ACW135
(partenariat entre l’OMS et le
Programme des Technologies Appropriées en matière de sainte (PATH).
Les résultats du PEV, bien
que spectaculaires, sont à l’évidence insuffisants. Les problèmes actuels sont
la sécurité des vaccins et des injections, les manifestations post-vaccinales
graves (elles sont exceptionnelles) et
la vaccination des enfants infectés par le VIH. Le Comité consultatif mondial
de la sécurité vaccinale donne des avis consultatifs à l’OMS sur ces problèmes.
Les vaccins coûtent chers, même si les prix ont fortement baissé. L’Alliance
Mondiale pour les Vaccins et la Vaccination et le Fonds pour les Vaccins, qui
fiance les activités de vaccination dans les pays où le PNB est inférieur
à 1 000 $US par personne, assurent un
soutien financier à 75 pays les moins avancés, ce qui doit permettre l’accès
aux vaccins disponibles (HVB, Fièvre jaune, Hip) et aux nouveaux vaccins
actuellement en phase III, comme les vaccins antirotavirus.
*On parle d’éradication lorsqu’il
y a disparition totale et définitive de la maladie et de son agent causal au
niveau mondial (une seule maladie éradiquée à ce jour : la variole en
1980). On parle d’élimination lorsque les taux de morbidité et de mortalité
sont abaissés à un niveau tel que la maladie ne représente plus un problème de
santé publique et ne doit donc plus être étiquetée grande
endémie (exemple : la lèpre avec un taux de prévalence inférieure à
1/10 000). On parle de contrôle lorsque les taux de morbidité et de mortalité
sont à un niveau supportable, l’endémie persiste en restant un problème de
santé publique (exemple : le tétanos néo-natal avec un taux de mortalité
< 1/1000).