.
 

Un cas de protothécose à La Réunion.

J.P. Rivière, B. Di Costazo, Ch. Tia-Tiong-Fat, J.l. Yvin, J.M. Biolay, M.C. Jaffar, M. Huerre. C.H.D Félix Guyon. Saint-Denis. Réunion.

 

Observation : Mme M…Simone, 64 ans, sans profession, est hospitalisée pour une altération de l'état général, avec amaigrissement (5 kg en un mois), fébricule et lésions cutanées multiples évoluant depuis deux mois, traitées localement et par plusieurs antibiotiques, puis par un antifungique per os la terbinafine.

Dans ses antécédents, on relève un traitement depuis plus de quinze ans par méthylprednisolone 16 (½ comprimé par jour) pour un asthme, et une hypertension artérielle. Elle vit avec deux de ses enfants dans une maison individuelle avec jardinet.

L’examen retrouve un état cachectique (31 kilos), une fièvre à 38°C, une tachycardie à 150 pulsations par minute et des placards érythémato-squameux exulcérés, dont la taille est de 3 à 8 centimètres, sur la face antérieure des deux membres inférieurs, la face externe des chevilles et en regard du tendon d'Achille. On note aussi des lésions arrondies, pigmentées, évoquant des ulcérations cicatrisées.

La biologie relève une VS à 101 mm à la première heure, un fibrinogène à 6,6 g/l, une CRP à 2 mg/l, 7200 polynucléaires neutrophiles, une absence d'éosinophilie. Une hyperthyroïdie est découverte sur nodule toxique du lobe droit.

Les prélèvements bactériologiques cutanés ne montrent que des germes banals: citrobacter, serratia.

Le diagnostic évoqué est celui d’un pyoderma gangrenosum et une biopsie cutanée est réalisée. Les colorations par le Gomori-Grocott et le PAS mettent en évidence des formations évoquant le diagnostic de protothécose, confirmé par l'Institut Pasteur (Dr Huerre). La mise en culture sur milieu de Sabouraud permet de faire pousser et d'identifier le même microorganisme.

Après 3 semaines d'hospitalisation, la patiente sort sans thérapeutique spécifique, sinon l'arrêt progressif de la corticothérapie, un traitement de sa pathologie thyroïdienne et cutané local.

Elle est revue en consultation un mois plus tard, son état général est redevenu normal, les lésions cutanées ont disparu. La patiente a été depuis perdue de vue.

 

Discussion : La protothécose est une maladie cosmopolite rare, causée par Prototheca wickerhamii sp., qui est une algue non chlorophyllienne. Elle se présente sous la forme de microorganismes dont la taille varie entre 6 et 12 mmu, avec des aspects de morula par endosporulation. C'est une affection essentiellement du monde rural, les protothèques se retrouvant dans les eaux usées et la sève de certains arbres. Les diagnostics différentiels histologiques sont la cryptococcose, la coccidioïdomycose et la blastomycose. L'aspect en morula est pathognomonique de Prototheca.

Ravisse et al, (1) rapportent 78 cas humains publiés et isolent deux tableaux cliniques principaux:

- des lésions papulonodulaires et érythémateuses des extrémités parfois infiltrées et ulcérées

- une bursite olécranienne dans environ un tiers des observations.

Dans 6 cas il existe une forme généralisée avec atteinte hépatique en particulier.

Un facteur général lié à une immunodépression est trouvé dans 16 cas: alcool, cancer, allergie, diabète, malnutrition, corticothérapie au long cours, greffe rénale. Les thérapeutiques efficaces qui ont été utilisées sont variées: désinfection locale associé à un antifungique par voie générale; l'amphotéricine B seule ou associée à la tétracycline; le kétoconazole; l'itraconazole.

 

Conclusion : L'observation présentée entre dans un des tableaux cliniques classiques: lésions cutanées dans un contexte d'immunodépression liée à une corticothérapie au long cours. L'association d'une hyperthyroïdie n'a jamais été décrite dans la littérature; elle pourrait être un facteur favorisant par l'atteinte de l'état général secondaire.

Cette observation comporte deux particularités :

- une vie en milieu urbain. L'interrogatoire n'a pas mis en évidence de facteur d'exposition en dehors du jardinage.

- une guérison à un mois sans traitement général type antifongique ou antibiotique, bien que la série de référence (1) fasse état de trois guérisons spontanées.

Le diagnostic de la protothécose, facile si la biopsie est réalisée, devrait être recherché devant un tableau évocateur, compte tenu de la fréquence du diabète, de la maladie  alcoolique, et de la ruralité à la Réunion.

 

Références

1) Ravisse P, de Bièvre C, Campos Magalhaes M, Ramos I, Huerre M. Protothécose cutanée traitée avec succès par l'itraconazole: nouveau cas et revue générale des protothécoses humaines. J. Mycol. Méd. 1993;3:84-94.

 

2) Ash J E, Spitz S, 44 auteurs. Pathology of tropical and extraordinary diseases. AFIP; Binford Connor Ed., 1976.