Comment protéger de la rage les populations vivants en zones
tropicales en 2002 ?
Pierre Aubry,
Professeur Emérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo (Madagascar),
Yolande Rotivel, Co-Directeur du Centre National
de Référence pour la rage, Institut Pasteur, Paris (France).
Alors que la vaccination
de Pasteur date de 1885, la rage est en 2002 une maladie encore invaincue. La
rage tue 50 000 personnes par an, essentiellement dans les pays en
développement (PED). Dix millions de personnes reçoivent chaque année un
traitement antirabique de post-exposition après contact avec un animal suspect.
Prés de 6 000 personnes, en provenance de la seule ville d’Antananarivo, ont
été traitées au Centre Antirabique de l’Institut Pasteur de Madagascar, de 1998
à 2000.
Pourtant,
les stratégies de lutte contre la rage sont bien connues :
-
la vaccination des chiens domestiques, qui a contribué à la disparition de la
rage canine dans les pays développés,
- l’élimination des
réservoirs sauvages par la vaccination orale, qui a entraîné une régression de
la rage du renard en Europe de l’ouest,
- le traitement après exposition chez les personnes après
contact, et la vaccination avant exposition chez les sujets à risque.
Rappelons
que les virus de la rage appartiennent au genre Lyssavirus. Il y a 7 génotypes de Lyssavirus: le génotype 1 qui correspond au virus de la rage des
carnivores terrestres, essentiellement les chiens errants et domestiques, mais
aussi des chauves-souris; les génotypes africains 2, 3 et 4 (virus Lagos Bat, Mokola et Duvenhage) ; les génotypes 5 et 6 EBL (European Bat Lyssavirus) et le génotype 7 ABL (Australian Bat Lyssavirus)
isolé en 1996 en Australie. Tous ces virus ont été isolés chez des chauves
souris, sauf le virus Mokola dont les
vecteurs sont des musaraignes.
Actuellement, les chauves-souris transmettent la rage sous tous les
continents. Les vaccins antirabiques
protégent surtout contre le génotype 1, moins bien contre les génotypes
5, 6 et 7, et pas contre les autres génotypes.
Les
vaccins antirabiques actuels sont de deux types :
- les vaccins non
purifiés préparés sur tissu nerveux d’animaux, vaccins encéphalitogènes, peu
immunogènes, utilisés dans la plupart des PED, car fournis gratuitement ou à
bas prix,
-
les vaccins purifiés préparés en cultures cellulaires, non encéphalitogènes,
très immunogènes (efficacité : 100%), mais d’un coût prohibitif pour les
PED.
Tous
ces vaccins sont classiquement administrés par voie intramusculaire. Pour
diminuer le coût du traitement après exposition, des schémas vaccinaux
multisites par voie intradermique, utilisant des vaccins obtenus en cultures
cellulaires, ont été mis au point (Thaïlande, 1995). Ils ont été validés par
l’OMS en 1996.
Les
immunoglobulines antirabiques ne sont pas ou peu utilisées dans les PED, car non disponibles. Elles sont pourtant
obligatoires en cas de contact de catégorie III (morsure(s) ou griffure(s)
ayant traversé la peau, contamination des muqueuses par la salive [léchage]).
Leur non-utilisation rend compte alors de l’évolution défavorable malgré
l’administration de vaccin antirabique.
La
vaccination avant exposition, pratiquée avec les seuls vaccins préparés en
cultures cellulaires, est recommandée chez toute personne exposée à un risque
accru d’exposition au virus rabique : personnels de laboratoire,
vétérinaires, éleveurs,… ainsi qu’aux expatriés vivants ou aux voyageurs se
rendant dans des zones de forte enzootie rabique (en particulier, en Asie). Cependant, les personnes les plus à risque
sont les enfants vivant ou se rendant dans ces zones, prés de 50% des
sujets « mordus » étant des enfants. La vaccination avant
exposition des enfants de moins de 15 ans doit être recommandée. Peut-on
intégrer cette vaccination dans le programme élargi de vaccination ? Les
études faites au Vietnam ont mis en évidence la faisabilité, l’innocuité et
l’immunogénicité de l’administration par voie intramusculaire (2 doses de
vaccin), mais aussi par voie intradermique (3 doses de vaccin). Une incertitude
demeure quant à la persistance de l’immunité au cours des années et l’attitude
qu’il conviendrait d’avoir plusieurs années ou dizaines d’années après si un
traitement après exposition était nécessaire..
Les
recommandations qui visent à prévenir la rage humaine en 2002 consistent
à :
- diminuer le coût du
traitement après exposition en utilisant les vaccins préparés en cultures
cellulaires et les protocoles vaccinaux par voie intradermique,
-
cesser d’utiliser les vaccins préparés sur tissu nerveux,
-
développer la vaccination avant exposition chez les enfants et les sujets à
risque,
- améliorer la fourniture
des immunoglobulines antirabiques.
Bibliographie
Aubry P., Rotivel Y. Rage. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses,
8-065-C-10, 2001, 16 p.
OMS. Vaccins antirabiques. Rev.
Epidémio. Hebd., 2002, 77, 109-119.