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Hépatites aiguës graves lors de l’infection à virus chikungunya (CHK) : à propos de cinq cas en service de réanimation à Saint

Hépatites aiguës graves lors de l’infection à virus chikungunya (CHK) : à propos de cinq cas en service de réanimation à Saint-Denis de la Réunion.

Reboux A.H, Lebrun G, Garnier P, Drouet D, Pac-Soo A.M, Lefort Y, Schlossmacher, O. Martinet, Gaüzère B-A.

Service de Réanimation, service de Gastro-entérologie. Centre hospitalier Félix Guyon, Saint-Denis.

 

Contexte : L’épidémie actuelle de CHK à l’île de la Réunion a révélé l’atteinte sévère de différents organes par le virus. Plusieurs cas d’hépatites aiguës fulminantes ont été diagnostiqués chez des patients atteints du CHK. Quel est le degré d’imputabilité du virus dans la genèse de ces hépatites graves ?

Méthode : Ont été inclus tous les patients admis en service de réanimation polyvalente dans un tableau d’atteinte hépatite sévère isolée ou de défaillance multiviscérale à forte composante hépatique, au cours du premier trimestre 2006.

Résultats : Cinq patients, 2 hommes et 3 femmes, âge moyen de 40, 1 (± 7,8) ans, extrêmes 40 et 53 ans, répondant tous à la définition du cas suspect de CHK. Indice de gravité simplifié moyen : 70,8 (± 34). Durée moyenne de séjour : 5, 6 (± 3,8) jours, médiane 4.4. Tous étaient éthyliques chroniques, un patient était porteur d’une drépanocytose homozygote, 2 présentaient une sérologie d’hépatite B guérie et 1 une sérologie d’hépatite A guérie. Trois patients avaient une paracétamolémie positive (14, 69, 26 ng/ mL). L’admission était précoce après le début de la maladie en réanimation (médiane 3 jours), avec comme motif d’hospitalisation une défaillance multiviscérale (2/5), une insuffisance hépatocellulaire aiguë (5/5), des troubles de la conscience (3/5). Des signes cliniques d’insuffisance hépatocellulaire ont été notés chez tous les patients : confusion (5/5), ictère cutanéo-conjonctival (4/5) patients.

Au plan des examens complémentaires : la RT-PCR CHK a confirmé le diagnostic, les sérologies virales A, B, C et les prélèvements bactériologiques sont tous négatifs (2 patients avaient une sérologie en faveur d’une hépatite B guérie), cytolyse importante avec pic médian des ASAT à 210 N [171-625], à J3 du début de la symptomatologie infectieuse, des ALAT à 102 N [30-195], insuffisance hépatocellulaire avec TP médian à 15% (extrêmes 11-24), thrombopénie inférieure à 50 000 mm3 chez 4/5 (80%), syndrome inflammatoire modéré (CRP autour de 40 mg/L, un patient ayant une CRP à 260 mg/L).

Au plan thérapeutique : 3 cas d’insuffisance rénale aiguë oligoanurique ont nécessité l’hémodiafiltration continue, 4 patients ont été ventilés mécaniquement, 3 étaient en collapsus cardio-vascuaire et sous amines pressives, 4 patients sur 5 ont reçu de la N-acétyl cystéine, 1 a subi une laparotomie blanche pour suspicion de syndrome occlusif sur hernie ombilicale étranglée, laquelle a mis en évidence une nécrose utérine, par bas-débit.

L’évolution a été marquée par le décès de 3/5 patients (60%) (2 chocs septiques, 1 œdème cérébral).

Une ponction biopsie hépatique chez 3/5 patients : la première montrait des signes de pré-cirrhose, et lésions d’hépatite nécrosante compatible avec une origine virale (fibrose mutilante régulière, nombreux ponts porto-portes ou porto-centro-lobulaires ; infiltrat inflammatoire discret des espaces portes avec prolifération néoductulaire, nodules avec nombreuses nécroses éosinophiles), la deuxième montrait des signes d’hépatite aiguë sans étiologie évocatrice, la troisième montrait des signes d’hépatite chronique (A1,F0). Une seule PCR a été faite qui est revenue négative. Nous avons également noté l’existence d’une rhabdomyolyse chez les 2 patients, dont un décédé (CPK> 20 000) témoignant d’une cytolyse musculaire dans le cadre d’une défaillance multiviscérale.

Discussion : Ces hépatites sévères ont toujours été diagnostiquées sur un terrain particulier d’hépatopathie sous-jacente chez des sujets relativement jeunes, éthyliques et dénutris (pré-albumine < 0.11 g/L chez 2 patients, non dosée chez les autres). Elles se sont compliquées de défaillances multiviscérales. L’imputabilité directe ou indirecte du chikungunya dans la genèse ne peut être étudiée qu’au vu des résultats anatomopathologiques de foie, et de la recherche d’inclusions virales au sein des cellules hépatiques. Aucune des analyses anatomopathologiques n’a retrouvé d’hépatite aiguë alcoolique. Le rapport ASAT / ALAT > 1 permet d’écarter un rôle prépondérant de l’intoxication médicamenteuse dans la genèse. Ce rapport est également signalé lors d’hépatites aiguës liées à la dengue [1, 2], à la différence de la plupart des autres hépatites virales. Les rôles aggravants de l’éthylisme et de la dénutrition sur la toxicité hépatique du paracétamol sont connus [3]. A La Réunion, le recours concomitant à la pharmacopée locale est très fréquent et représente un facteur potentiel aggravant [4]. La RT-PCR CHK est revenue positive chez tous les patients confirmant l’apparition précoce des complications hépatiques en phase de réplication virale.

Conclusion : Lhépatite aiguë fulminante fait désormais partie des complications précoces de l’infection à CHK. Elle ne semble survenir que sur des terrains particuliers.

Références :

1) Poovorawan Y, Hutalug Y, Chongsriwat V, Boudville I, Bock HL. Dengue virus infection : a major cause of hepatic failure in Thaï children. An Trop Paediatr. 2006 ; 26 (1) : 17-23

2) De Souza L.J et all. Aminotransferase changes and acute hepatitis in patients with dengue fever : analysis of 1 585 cases. The brazilian journal of infectious diseases 2004 ; 8 (2) : 156-163.

3) O’Grady J G. Acute liver failure. Postgrd Med J 2005 ; 81 : 148-154

4) Estes JD, Stolpman D, Olyaei A et all. High prevalence of potentially hepatotoxic herbal supplement use in patients with fulminent hepatic failure. Arch Surg 2003 ; 138 (8) : 852-8