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Lèpre et Syndrome de Reconstitution immune au cours du sida

Lèpre et Syndrome de Reconstitution immune au cours du sida.

Pierre Aubry, Professeur visiteur de l’Université Victor Segalen Bordeaux 2, Professeur émérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo ( Madagascar), 11 avenue Pierre Loti, Saint Jean de Luz, F-64 500.

Aubry.Pierre@wanadoo.fr

 

L’introduction depuis 1996 de traitements antirétroviraux (ARV) contre le sida est à l’origine d’un nouveau syndrome : le Syndrome de Reconstitution Immune ou Syndrome de Restauration Immunitaire (SRI). Le SRI peut se définir comme une réaction inflammatoire inhabituelle à une infection opportuniste qui survient chez les patients atteints de sida (CD4+ < 200/µL), dans les premières semaines qui suivent l’introduction des ARV. Chez ces malades, lorsque l’immunité se restaure sous ARV, des signes cliniques inflammatoires apparaissent en rapport le plus souvent avec un agent infectieux opportuniste. L’agent infectieux en cause peut avoir été l’objet d’un traitement préalable ou n’avoir été que latent, mais il préexiste toujours à l’introduction des ARV.  Les premières observations de SRI concernent les mycobactérioses : tuberculose à Mycobactérium tuberculosis et mycobactérioses atypiques, en particulier à Mycobactérium avium (1).

Neuf observations de lèpre associées au SRI ont été rapportées depuis 2003.


 

Sur les neuf observations étudiées :

- huit sont des formes «nouvelles» n’ayant pas fait l’objet d’un traitement anti-lépreux avant traitement par ARV,

- toutes sont des lèpres borderline (BT, BB, BL) en Réaction Reverse (RR),

- trois présentent des lésions cutanées ulcérées, 3 une névrite,

- le délai entre la mise sous ARV et les signes du SRI est en moyenne de 6 semaines,

- le taux des CD4+ avant mise sous ARV est de 37/µL en moyenne (entre 10 et 147/µL), ce taux remonte sous ARV à 170/µL (entre 70 et 499/µL),

- le traitement de la réaction reverse, connu dans 5 cas sur 9, a consisté en la prise de corticoïdes dans 3 cas.

Au total, les observations de lèpre et de sida sous ARV intéressent des lèpres borderline (dont 7 Borderline tuberculoïde BT sur 9), en réaction reverse ou réaction lépreuse de type 1.

Les différentes études menées dans des pays d’endémie lépreuse (pays d’Afrique sub-saharienne, Brésil, Inde), avant l’apparition du SRI, n’ont pas montré d’interactions évidentes entre la lèpre et l’infection à VIH/SIDA (7).

Aux questions :

- l’infection à VIH/SIDA augmente-t-elle le risque de développer une lèpre ?

- l’infection à VIH/SIDA modifie-t-elle le «spectre» clinique de la lèpre ?

- l’infection à VIH/SIDA affecte-t-elle l’efficacité du traitement anti-lépreux ?

- l’infection à VIH/SIDA déclenche-t-elle des réactions lépreuses de type 2 (Erythème Noueux Lépreux ou ENL) et/ou de type 1 (Réaction Reverse) ?

une seule réponse peut être apportée : il y a un plus grand risque de réactions lépreuses, en particulier d’ENL, chez les lépreux VIH positifs.

A la question : quel est l’impact de la lèpre sur l’infection à VIH/SIDA ? La réponse est négative, à la différence du «couple tuberculose-sida» .

Il reste à expliquer par quel(s) mécanisme(s) peut se révéler une lèpre latente chez les patients VIH+ traités par ARV. Rappelons que la réaction reverse est due à une restauration de l’immunité retardée à médiation cellulaire vis-à-vis de Mycobacterium leprae. Elle se manifeste par une brutale poussée inflammatoire des lésions cutanées et par une névrite hypertrophique et douloureuse. La névrite domine le pronostic fonctionnel, mais les traitements anti-inflammatoires (corticoïdes) sont efficaces.

Dans la lèpre révélée par un SRI, l’inflammation est, de même, secondaire à la restauration de l’immunité : elle serait liée à une activation des CD4+ provoquée par l’introduction d’une thérapeutique antirétrovirale efficace et répondrait au même mécanisme que dans la réaction reverse survenant chez un lépreux non infecté par le VIH. Il est donc logique de rencontrer des réactions reverses chez des patients infectés par le VIH qui restaurent leur immunité sous ARV.

Cependant, l’hypothèse que le SRI répond au même mécanisme que la RR du lépreux non infecté par le VIH n’explique pas la fréquence des lésions cutanées ulcérées observées dans la RR du SRI.

De nouveaux protocoles moins contraignants (multi thérapie en une prise orale par jour) rendent le traitement du sida acceptable et l’observance possible dans les pays les plus défavorisés. Le nombre de malades traités a augmenté depuis l'initiative « 3 by 5 » de l'OMS de 2003. Il faut redouter que le SRI associé à la lèpre ne soit de plus en plus fréquent, en particulier dans les pays où la prévalence de la lèpre est supérieure à 1/10 000 (Brésil, République Démocratique du Congo, Madagascar, Mozambique, Népal, Tanzanie), mais aussi en Inde (8, 9). Rappelons que la prévalence de la lèpre est très élevée à Mayotte : 4,60/10 000 en 2005.

Il est significatif que dans les observations rapportées, 5 cas sur  9 intéressent des malades du Brésil, pays qui a, parmi les pays en développement, le programme le plus efficace de traitement du sida.