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Chikungunya : données anatomo-pathologiques

Chikungunya : données anatomo-pathologiques

 

M Huerre* , L Michot**, G Barbara**, J Wechler***, A Gessain, PE Ceccaldi et all ****, JP Riviere**

* Service anatomie pathologique Institut Pasteur Paris, ** Service d’anatomie pathologique CHD Félix GUYON Saint-Denis, *** Dermatopathologiste Service d’anatomie pathologique du CHU Henri MONDOR Créteil, **** Laboratoire de virologie Institut Pasteur Paris.

 

Ce travail décrit les lésions anatomopathologiques standard et en immunohistochime (IHC). Elles sont argumentées par les données cliniques et biologiques. L’objectif de l’étude est de démontrer l’insuffisance des prélèvements destinés à l’anatomie pathologique, malgré la qualité des résultats que l’on peut en attendre, et les questions qu’elle permet de poser.

Patients et méthode : Nous avons reçu des prélèvements de sites divers : cutanés : 30 cas ; rénaux : 6 cas ; hépatiques : 5 cas ; musculaires : 3 cas ; synoviaux : 1 cas ; ganglionnaire : 1 cas. Des prélèvements autopsiques multiples lors de trois nécropsies ont été analysés. Plus de 500 placentas ont été vus ; un mort né en période périnatale et un fœtus de deuxième trimestre ont été autopsiés. L’histologie standard après coloration par HES a été réalisée au CHD et l’IHC  après application d’un  anticorps anti-chikungunya à l’Institut Pasteur.

Résultats

Biopsies cutanées : deux sous groupes, l’un adulte, l’autre en période périnatale.

Adulte : 21 biopsies. A côté de dermites aspécifiques (9 cas), de réactivation d’une pathologie pré-existante psoriasique (2 cas), les lésions attribuables à la virose les plus fréquentes sont des aspects de « pseudo bulles », par œdème et décollement dermo épidermique (5cas), d’hypodermite nécrosante (3cas). Des images de réaction épithélioido gigantocellulaire (2cas) et de nécrose dermique boréliose like (1cas) ont été décrites. L’immunofluorescence n’apporte aucun argument en dehors de dépôts banals d’IgM et de complément sur la membrane basale ou les vaisseaux dermiques. Aucune image de cytopathie virale n’est objectivée dans les cellules malpighiennes.

L’IHC n’individualise jamais  le virus, alors que la RT-PCR était parfois positive dans le liquide de la bulle.

Période péri natale : 9 biopsies. Les lésions sont de façon constante de type toxidermiques bulleuses, suivies de surinfection sur des biopsies itératives. L’IHC n’a pas non plus montré de signes directs de présence du virus, décelé en RT-PCR sur le liquide bulleux. Une étude en microscopie électronique est en cours de réalisation.

Biopsies rénales : A côté de lésions en rapport avec le contexte de greffe, de diabète, il existe des images communes de néphropathie tubulo interstitielle aiguë d’intensité variable, avec pour 1 cas des lésions immuno-allergiques. Des signes de cytopathie virale sont décelées : cellules géantes tubulaires, et sur une cytologie urinaire une « Decoy cell ».

Des dépôts intratubulaires de myoglobine sont présents.

Dans un cas le tube contourné distal montre des inclusions cytoplasmiques en IHC.

Biopsies hépatiques : Deux types d’atteinte sont rencontrés. Soit une hépatite nécrosante sub massive, proche de celles décrites dans les viroses hémorragiques, soit des nécroses limitées péricentrolobulaires, associées à une hépatite modérée à cellules rondes. En IHC un cas a montré des inclusions dans les cellules de Kupfer et à un degré moindre dans les hépatocytes.

Placentas et fœtus. Aucun des placentas vus dans le cadre du protocole « Chimère », n’objective de lésion inflammatoire à type villite mononucléée.  Les IHC sont restées négatives. Le cas de décès périnatal n’a pas permis de trouver de lésion viscérale inflammatoire sur les tissus prélevés (cerveau, muscle, rein, poumon, cœur, rate, foie). Le placenta n’avait pas été transmis. Le cas de mort fœtale du deuxième trimestre, montre des lésions inflammatoires intenses lymphoplasmocytaires de certains des organes prélevés (cerveau, méninges, muscle, cœur) et une villite mononucléée du placenta. L’ IHC est constamment négative. Ce cas n’est documenté que par une sérologie maternelle Chik positive, sans recherche d’autres infections.

Biopsies musculaires. Trois biopsies musculaires ont été examinées. Pour 2 d’entre elles, il existe un syndrome myositique marqué ou sévère. Le dernier n’objective que de minimes lésions dystrophiques. L’IHC montre une positivité dans 2 des cas, le dernier est en cours d’étude. L’existence de prélèvements congelés, a permis de faire un travail de recherche sur la cible du virus au niveau du muscle (article en cours de publication).

Biopsie synoviale. Le seul prélèvement montre des lésions de synovite lymphocytaire non spécifique, où il faut noter l’absence de nécrose et de prolifération synoviocytaire. L’IHC est négative.

Biopsie ganglionnaire. Le ganglion prélevé est de type réactionnel banal. La recherche en IHC est positive.

Autopsies des adultes. Les autopsies réalisées soit dans un cadre médico légal (2cas), soit a visée scientifique (1cas), permettent d’étudier la plupart des organes. Dans un cas l’IHC montre une positivité dans le revêtement bronchique, celui des canaux biliaires, du tube contourné distal rénal et des inclusions para nucléaires des myocytes cardiaques, sans inflammation remarquable. Un autre cas confirme la présence de larges inclusions cytoplasmiques dans les cardiomyocytes. Dans le dernier l’IHC est positive au niveau des cellules gliales cérébrales.

Discussion : Cette étude un peu catalogue, pêche par l’ insuffisance du nombre des  prélèvements effectués pour analyse anatomopathologique standard et en IHC, excepté en ce qui concerne les placentas et les biopsies cutanées. De plus, les données cliniques et biologiques de chronologie sont souvent mal documentées. Cependant on peut de penser que l’IHC positive en période de virémie (cas autopsiques de décès en début d’infection), peut le rester dans certains tissus : cellule musculaire, cellule épithéliale du tube rénal mais aussi dans les cellules macrophagiques : foie, cerveau et  ganglion.  La discussion de la nature de la positivité en IHC n’est pas encore tranchée : virus ou complexes immuns. La constante absence de lésions du placenta et la négativité en IHC, va dans le sens de la non persistance du virus à ce niveau, alors que le passage transplacentaire au foétus lors du premier trimestre paraît très vraisemblable.

Le cas des biopsies cutanées, assez bien documenté, pose le problème de la cytotoxicité directe du virus, malgré l’absence d’inclusions virales « classiques ». Il existe deux arguments allant dans ce sens : d’une part les lésions épithéliales rénales et la cytologie urinaire, d’autre part les lésions nécrosantes épidermiques du nourrisson, où le rôle du traitement a été écarté cliniquement. La microscopie électronique pourra peut être apporter des données pour ces dernières.

L’existence, de réactions épithélioido gigantocellulaires cutanées et immuno allergiques rénales, irait dans le sens de mécanismes immuns eux aussi à explorer.

Conclusion. Il existe de nombreuses questions posées par l’évolution de la maladie Chikungunya, du fait de sa particularité de présenter des « rechutes », musculaires, articulaires, cutanées etc. Celle de la réinvitation, de la persistance du virus, ou de mécanismes immuns à l’origine de ces rechutes en est une. L’anatomie pathologique ne doit pas être négligée comme moyen de recherche, grâce à l’immunomarquage et autres études d’aval, mais aussi par la description des lésions très variables rencontrées en histologie standard.