Infection à Salmonella non typhique et
myocardiopathie du peri-partum ?
Observation : Le 31/01/2009, Mme R,, 29 ans est
admise en réanimation dans un tableau de défaillance multiviscérale. Le
29/01/2009, elle avait présenté à 34 semaines d’aménorrhée, un malaise avec
hypoesthésie du membre supérieur droit, céphalées et acouphènes. L'examen
clinique notait des contractions utérines fréquentes et régulières sans
souffrance fœtale, une HTA à 160/80 mm Hg, des oedèmes des membre inférieurs,
une protéinurie. Le bilan biologique retrouvait : thrombopénie à 6 000/mm³,
anémie à 8,6 g/dL à tendance microcytaire (VGM=86,6), uricémie à 383 µmoles /
L, ALAT= 37 UI, ASAT= 83 UI, bilirubine totale 34 µmoles, à prédominance non
conjuguée, LDH 2074 UI, fonction rénale normale. Après transfusion de
concentrés plaquettaires, globulaires et de plasma frais congelé, était
pratiquée une extraction fœtale en urgence.
En
post-opératoire, la patiente présentait une ascension de le troponine (3,4
ng/ml), sans modification ECG. L'échographie transthoracique notait une
akinésie antéroseptale avec une fraction d’éjection abaissée (30%), un débit
cardiaque conservé et un épanchement péricardique non compressif, des cavités
droites non dilatées. Puis apparaissaient des troubles de conscience avec
crises convulsives généralisées imposant le recours à la ventilation assistée.
Le bilan biologique objectivait une acidose lactique (lactates 10,8 mmol/L),
une hyperkaliémie à 6,3 mmol, une cytolyse hépatique (ASAT 1300, ALAT 750 UI)
avec foie de choc (TP=34%, Facteur V 22%), LDH 6000 UI, troponine 7 ng/ml, BNP
16000 pg/mL. L'instabilité hémodynamique nécessitait des perfusions continues
d’adrénaline et l’aggravation de la défaillance multiviscérale la mise en place
d'un oxygénateur extracorporel à membrane périphérique
fémoro-fémoral de sauvetage (ECMO).
Une hémoculture prélevée le
01/02/2009 était positive à Salmonella typhimurium de phénotype sauvage
sensible aux β lactamines. Une antibiothérapie par ceftriaxone pendant 8
jours avec relais par 3 jours d'amoxicilline et 2 jours de gentamycine était instaurée.
Une
nouvelle dégradation de la fonction cardiaque avec effondrement de la fraction
d’éjection (10-15%), thrombose de l'artère pulmonaire et de la racine de
l'aorte, nécessitait la mise en place d'une ECMO de type central.
L'analyse
anatomo-pathologique de la biopsie myocardique pendant la pose de l’ECMO
concluait à des lésions de nécrose myocardique sur microangiopathie
thrombotique (MAT) qui imposait le recours aux échanges plasmatiques et à une
chimiothérapie par anti CD 20, associée à une corticothérapie par voie
générale. L’évolution a été lentement favorable après 18 séances d’échanges
plasmatiques et des transfusions quotidiennes de plaquettes en raison d’une
micro-angiopathie thrombotique agressive. Sortie du service de réanimation le
8/03.
Discussion : La septicémie à Salmonella
typhimurium a-t’elle joué un rôle dans la genèse de cette myocardiopathie
du péri-partum chez une patiente au statut sérologique négatif pour le VIH ?
L'incidence de la myocardiopathie
du péri-partum (MCPP) est de 1/ 1500 à 1/4000 naissances vivantes. Les critères
diagnostiques ont été établis en 1971 par Demakis et al. [1] :
- Développement d'une défaillance
cardiaque aiguë entre le dernier mois de la grossesse et les 6 premiers mois
post-partum
- Absence d'une cause identifiable
de la défaillance cardiaque aiguë
- Absence de cause connue de
défaillance cardiaque avant le dernier mois de la grossesse.
Les facteurs de risque retrouvés
sont : âge de la mère supérieur à 30 ans, multiparité, grossesses multiples,
race noire, l’obésité, malnutrition, HTA gravidique et pré-éclampsie, absence
de suivi anténatal, allaitement, antécédent de césarienne, intoxication
chronique par alcool, cocaïne et tabac, niveau socio-économique défavorisé et
antécédents familiaux de myocardiopathie du péri-partum.
Par contre, les étiologies des
myocardiopathies du péri-partum ne sont pas clairement identifiées :
myocardite virale, facteurs auto-immuns, cytokines, tocolyse prolongée et
carence en sélénium.
Le diagnostic de myocardite est
retenu lorsqu'il existe une défaillance cardiaque inexpliquée, une douleur
thoracique ou une élévation des enzymes cardiaques en l'absence de
coronaropathie ou de spasme coronarien.
L'hypothèse d'une réaction auto-immune dirigée contre les myocytes cardiaques
post-infection a été évoquée. Des études sur des modèles animaux ont mis en
évidence une prolifération virale intra-cellulaire avec destruction du myocyte.
Les
biopsies endomyocardiques chez des patientes présentant une MCPP du péri-partum, retrouvent un fort infiltrat éosinophile qui
est connu pour son activité collagénolytique et sa toxicité cardiaque propre.
Plusieurs génomes de virus ont été mis en évidence lors de ces biopsies :
entérovirus (virus coxsackie), parvovirus B19, adénovirus et herpesvirus. L'ADN
de Chlamydia induit une réponse inflammatoire. Dans une étude menée au Niger,
96% des patientes avec une myocardiopathie du péri-partum avaient des anticorps
anti-Chlamydia de type Ig G contre 80% dans le groupe témoin et des études plus
récentes ont démontré qu'un fort taux d'anticorps était lié à un pronostic plus
péjoratif.
La
pathogénie serait la sécrétion d'anticorps dirigés spécifiquement contre la
chaîne lourde de la myosine des myocytes cardiaques avec sécrétion de cytokines
pro-inflammatoires notamment le TNF ά et l'IL1.
Des myocardites ont été décrits au
cours d’infections à Salmonella heidelberg, [2]. Salmonella
enteritidis et Salmonella virchow [4], en dehors du contexte du
péri-partum Salmonella
heidelberg est un sérovar courant
en Amérique du Nord (3ème sérovar en importance chez l'humain au
Canada en 2004), particulièrement invasif qui tend à causer des symptômes plus
graves que les autres sérovars non typhoïdiques. Salmonella
virchow a été isolé dans le myocarde d’un enfant de 11 mois, mort
subitement. Salmonella typhimurium est devenu le sérotype le plus
fréquent parmi les souches d'origine humaine recensées par le Centre National
de Référence des Salmonella et des Shigella.
L’association d’une salmonellose et d’une MAT a pas été décrite, néanmoins,
l’association d’une MAT avec des infections (par exemple le syndrome
hémolytique et urémique et E. Coli O157H7) permet d’envisager un lien de
causalité avec la salmonellose.
Conclusion : Il
n'existe pas dans la littérature d'étude de cas permettant d'associer une
infection à Salmonella typhimurium à une MCPP. Quelle est donc
l’imputabilité de Salmonella typhimurium dans cette observation ?
Bibliographie
[1] Demakis JG,
Rahimtoola SH. Peripartum
cardiomyopathy. Circulation 1971;44:964-8.
[2] Wanby P, Olsen B. Myocarditis in a patient with
salmonella and campylobacter enteritis. Scand J Infect Dis
2001, 33:877-878.
[3] Franczuk P, Ktzysztof R, Grodzicki T. Myocarditis
related to Samonella enteritidis infection. Cardiology J 2007, 14, 6
589-591.
[4]Neuwirth c, François C, Laurent N, Pechinot A.
Myocarditis due to Salmonelle virchow and sudden infant death. Lancet,
1999; 354:1004.