Grande carence
vitaminique historique : le scorbut est toujours d’actualité.
Pierre AUBRY. Professeur Emérite à
la Faculté de Médecine d’Antananarivo, Madagascar.
11, avenue Pierre Loti, 64 500,
Saint Jean de Luz, Fax : 05 59 26 45 11, E-mail :
aubry.pierre@wanadoo.fr
Le scorbut ou avitaminose C est
toujours d’actualité : tant dans les pays tempérés, où il atteint les
personnes à risque de carence alimentaire, que dans les pays en développement,
où il survient par petites épidémies dans un contexte de malnutrition
protéino-énergétique, liée à des cataclysmes naturels ou artificiels.
Le scorbut est considéré comme une
maladie des marins : c’est « la peste des mers ». Il a été la
rançon des longues explorations maritimes du XVème au XVIIIème
siècle. Citons les expéditions de Vasco de Gama par le Cap de Bonne Espérance
(1497-1499), de Ferdinand de Magellan par le Détroit de Magellan (1519-1522),
de Francis Drake par le Cap Horn (1577-1580). Le scorbut des marins va
s'éteindre grâce à un chirurgien naviguant James Lind qui découvre la
prévention par les légumes et les agrumes (1752) et à James Cook qui l’applique
(1768-1780). Cependant, le scorbut
restera la principale maladie dont mourront les esclaves noirs au cours
des longues traversées vers l’Amérique (2 à 3 mois en moyenne).
En fait, le scorbut est d’abord
une maladie des terriens, rapporté au cours des croisades (VIIème
croisade de Louis IX 1248-1254), des corps expéditionnaires (Bonaparte en
Egypte 1798-1801), des blocus des villes (Paris, 1871), des camps de déportés
(Allemagne nazie, 1933-1945).
Le scorbut est toujours une
maladie d’actualité sur terre et spécialement dans les PED où il sévit :
- par cas sporadiques dans le
Sahel lorsque la saison sèche rend les légumes et les agrumes rares,
- par petites épidémies dans les
camps de réfugiés en cas de malnutrition protéino-énergétique, comme en
Afghanistan (1999-2002).
Le scorbut est du à une carence
vitaminique en vitamine C ou acide ascorbique, vitamine hydrosoluble dont
l'apport est indispensable à l'homme, incapable de la synthétiser. Les sources
de vitamine C sont alimentaires : végétaux, fruits surtout agrumes, foie,
viande fraîche. Les apports recommandés sont de 60 mg/j, de 120 mg/j chez la
femme enceinte ou allaitant.
Les travaux sur la vitamine C ont
montré son pouvoir antioxydant, son rôle de défense et son intervention dans
les processus immunitaires. Elle intervient dans l’absorption du fer et des
folates.
Le tableau clinique du scorbut a
été magistralement décrit par Lind. Il se constitue progressivement en cas de
carence totale et associe : asthénie, œdèmes fugaces, arthralgies,
manifestations hémorragiques (purpura pétéchial, hématomes, hémarthroses),
stomatologiques (gingivite, paratondolyses), troubles de la peau et des
phanères (sécheresse cutanée, hyperkératose palmo-plantaire, cheveux en
tire-bouchon), syndrome dépressif,
atteintes cardiaques (anomalies électrocardiographies, hypotension,
insuffisance cardiaque). L’évolution peut être fatale par cachexie,
hémorragies, infections, mort subite. Le diagnostic est confirmé par le dosage
de l’ascorbémie, souvent proche de zéro (N : 5 à 15 mg/L).
Les états de carence
asymptomatiques en vitamine C sont fréquents en zone tropicale : ils sont
une des causes des anémies ferriprives. La ration alimentaire est à base de
céréales et de légumineuses qui contiennent peu de protéines animales et de
vitamine C. Ils existent aussi en pays industrialisés où ils ont classiquement
des effets délétères à long terme sur l’incidence des cancers et des
cardiopathies ischémiques.
Le traitement du scorbut est basé
sur la prise de vitamine C 1 g/j pendant 15 jours, la vitamine C, vitamine
hydrosoluble, ne pose pas, même à fortes doses, de problèmes de toxicité. La
prévention est basée sur une nourriture riche en fruits et légumes. L’étude
SU.VI.MAX (1994-2003) a montré le rôle protecteur des antioxydants et des
vitamines à doses nutritionnelles dans les cancers, au moins chez les hommes
qui ont les taux les plus faibles en bêta carotène et en vitamine C.
Conclusion : le
scorbut, anciennement « peste des mers » est toujours d’actualité,
mais sur terre.
Références
Aubry P. Le scorbut, une maladie
des marins du XVème au XVIIIème siècle, toujours
d’actualité. Med. Trop., 2001, 61, 478-480.
Assela F, Jabarkhil M.Z., Salama
P, Spiegel P. Malnutrition and Mortality in Kohistan District, Afghanistan,
april 2001. JAMA, 2001, 286, 2723-2728.