Syndromes de détresse respiratoire de l’adulte en médecine tropicale
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Vandroux, B Bouchet, A Roussiaux, J Jabot, L Hoang, B Leaute, D Belcour, D
Drouet, B-A Gaüzère. Service de Réanimation Polyvalente, CHR La Réunion, site
centre hospitalier Félix Guyon, 97405 Saint-Denis, Réunion. (david.vandroux@chr-reunion.fr)
Introduction : Le
syndrome de détresse respiratoire de l’adulte (SDRA) associe une insuffisance
respiratoire aiguë, des images alvéolaires bilatérales sur la radiographie
pulmonaire, un rapport PaO2/FiO2 inférieur à 200, en
l’absence d’hypertension auriculaire gauche. Nous présentons deux cas de SDRA
survenus lors de pathologies infectieuses tropicales.
Cas 1 : homme de 34 ans, ouvrier de nationalité indienne, expatrié
depuis 18 mois à Madagascar travaillant en forêt d’altitude, sans prévention
antipalustre et présentant : vomissements confusion mentale avec agitation
puis un coma (score de Glasgow à 7/15) sans hypotension, fièvre à 39.8°C, sans
détresse respiratoire (saturation oxymétrique de pouls 100%). Le patient était
réhydraté et placé sous ventilation mécanique. Un test rapide malaria
(Immunochromatographie, Paramax 3 ; espèces testées : Plasmodium falciparum, P. malariae) était positif et un
traitement par quinine (1,4 g) et arthemether - lufémantine était débuté avant
l’évacuation vers La Réunion. A l’admission dans le service, était notée une
thrombopénie (41 000 /mm3) et un score SOFA à 9. Le traitement par
quinine IV était poursuivi. La suspicion d’une co-infection conduisait à
l’adjonction de ceftriaxone. Les prélèvements infectieux (hémocultures,
aspirations trachéo-bronchiques, LCR avec PCR HSV) revenaient négatifs, ainsi
que les frottis et gouttes épaisses réalisés au deuxième jour du traitement par
quinine. Scanner cérébral et EEG étaient normaux malgré la persistance de
troubles de conscience. A J3, le patient restait fébrile et la fonction
respiratoire se dégradait avec un rapport PaO2/FiO2 à
125, et l’échocardiographie excluait une origine cardiogénique. A J4, la
radiographie pulmonaire montrait des opacités bilatérales et diffuses, puis
survenait une bronchorrhée fluide et abondante, avec effondrement de la
compliance pulmonaire, malgré une ventilation protective avec curarisation, des
séances de décubitus ventral et la ventilation à oscillation à haute fréquence.
Le rapport PaO2/FiO2 était alors à 60 et il était décidé
d’implanter un dispositif d’oxygénation par membrane externe (ECMO périphérique
veino-veineuse), dont la canule d’entrée était placée en position cave
inférieur sous diaphragmatique par abord fémorale droite et la canule de sortie
en intra-cardiaque via la veine jugulaire droite. Un réglage initial avec un
débit de pompe de 5 litres/min, une FiO2 de 60% et un balayage de 5 litres
permettait de rétablir rapidement une hématose acceptable. Le traitement
antibiotique était majoré par doripenem à titre probabiliste. Tous les
prélèvements infectieux revenaient, ainsi que les PCR grippe et les sérologies
VIH, hépatites, CMV, dengue. Durant la période de suppléance par ECMO, il n’y a
pas eu de défaillance hémodynamique, l’anticoagulation du circuit était assurée
par héparine non fractionnée sans incident hémorragique ou thrombotique, une
ventilation protectrice était maintenue. Dans les suite, on obtenait une nette
amélioration clinique, radiologique et gazométrique. A J10, l’évolution
favorable permettait l’explantation de l’ECMO. Le patient était extubé à J13 et
sortait de réanimation à J15.
Cas 2 : homme de 28 ans consultant en fin de saison des pluies pour
des douleurs abdominales associées à des vomissements et des diarrhées. Sans
antécédents médicaux, il pêchait régulièrement dans les rivières de l’Est de
l’île et élevait des canards. Après un premier traitement symptomatique, il
rentra à domicile puis se présenta à nouveau deux jours plus tard pour une
dégradation de l’état général et une dyspnée. Les examens biologiques
objectivaient une insuffisance rénale aiguë. Très rapidement, l’état
respiratoire se dégradait avec apparition d’hémoptysies massives. Sous
ventilation artificielle et malgré des paramétrages de ventilation optimisés,
l’hématose continuait de se détériorer. Le patient était admis dans l’unité de
réanimation et au bout de 12 heures, en raison d’une hypoxémie réfractaire (pH
6.9, PaCO2 95 mm Hg, PaO2 56 mm Hg), il était implanté une ECMO veino-veineuse.
Avec un résultat rapidement favorable, la saturation oxymétrique de pouls
passant de 30% à 100%. La défaillance respiratoire s’accompagnait d’une
insuffisance rénale, d’une atteinte hépatique, d’une atteinte pancréatique,
d’une thrombopénie. La radiographie pulmonaire montrait deux poumons
« blancs » et la bonne place des canules d’ECMO et de
ventilation. L’examen
tomodensitométrique révélait un syndrome alvéolo-interstitiel bilatéral.
L’échocardiographie mettait en évidence une hypokinésie globale avec une
fraction d’éjection effondrée, inférieure à 30%, un ventricule gauche non
dilaté et non hypertrophié. La troponine était augmentée à 1, 87µg/L, sans trouble rythmique ou de conduction. Une
antibiothérapie par amoxicilline était débutée. Le diagnostic de leptospirose
était confirmé par PCR sur sang et urine. La fonction cardiaque s’améliorait au
troisième jour sans nécessité de suppléance cardiaque, le support
catécholaminergique était sevré en 72 heures et le patient recouvrait une
fraction d’éjection ventriculaire gauche à 55%. Finalement, l’évolution était
favorable, le patient était explanté au septième jour et extubé au seizième
jour. L’épuration extra-rénale était poursuivie jusqu’au 19ème jour.
Le patient sortait du service de réanimation au vingtième jour, sans déficit
neurologique, mais avec une fonction rénale encore altérée.
Discussion : Plusieurs pathologies tropicales sont à l’origine de SDRA.
Le
paludisme peut se compliquer de SDRA avec mortalité difficile à mesurer en
raison de sa survenue dans des régions dotées de systèmes de santé très
différents. Le paludisme d’importation sur le territoire français métropolitain
a fait l’objet d’évaluations rétrospectives. Une équipe a colligé entre 1988 et
1999, 188 paludismes d’importation avec seulement 14 œdèmes pulmonaires (12
SDRA et 2 Acute Lung Injury). L’œdème
pulmonaire est l’un des principaux facteurs pronostiques de mortalité avec le
coma, le choc et l’acidose. Une autre étude de 42 cas de paludisme grave entre
1996 et 2002 relève une fréquence de SDRA de 17% (7 patients avec SDRA, 6
survies). Une troisième étude rétrospective de 32 cas retrouve 22% d’œdèmes
pulmonaires avec deux décès par SDRA. Il n’est pas retrouvé d’associations avec
l’âge, le sexe ou les antécédents médicaux. Le SDRA survient surtout chez les
patients non immuns et est décrit majoritairement lors d’infections à P. falciparum, avec défaillance
multiviscérale ou co-infections, et plus rarement lors d’infections à P. vivax. Les facteurs favorisant le
SDRA lors d’infections à P. falciparum
sont la surcharge hydrosodée, l’acidose métabolique, la CIVD et la dysfonction
hépatique. Le SDRA peut survenir dans les formes pauci-parasitaires ou après
négativation de la parasitémie. Par contre, la défaillance respiratoire semble
isolée lors d’infection à P. vivax et
beaucoup plus rare que lors d’infections à P
falciparum.
Le
paludisme est caractérisé par une hyperperméabilité capillaire durant les
premiers jours, contraignant à une surveillance stricte des apports liquidiens,
voire à une surveillance échographique ou à un monitorage des pressions de
remplissage. La physiopathologie de cette atteinte lésionnelle pulmonaire est
mal connue : réaction inflammatoire due aux antigènes parasitaires ;
cytoadhérence des hématies parasités avec libération de cytokines
pro-inflammatoires, activation du système réticulo-endothélial puis lésions
endothéliales avec augmentation de la perméabilité. En cas de parasitémie
importante, l’obstruction de la microcirculation induit une baisse du débit
sanguin hépatique conduisant à une hypoalbuminémie et à une acidose
métabolique. L’hypoalbuminémie entraine une redistribution vasculaire sans
surcharge volémique par diminution de la pression oncotique. L’acidose diminue
la déformabilité des hématies non parasités et accentue l’ischémie tissulaire.
Au cours des paludismes graves, une infection bactérienne concomitante avec
bactériémie est fréquente et justifie dans notre service une antibiothérapie
empirique à large spectre. Classiquement, un délai de 1 à 5 jours (6 h à 8
jours pour P. vivax) est observé
entre l’instauration du traitement et le début brutal de la symptomatologie
pulmonaire. Ce délai après instauration du traitement antipalustre peut
correspondre à une exacerbation de la réponse inflammatoire post-traitement.
La
leptospirose, maladie ubiquitaire, est particulièrement présente dans les
régions ultramarines françaises. Le sérogroupe le plus fréquent à La Réunion
est L icterohaemorrhagiae. Les causes
d’hypoxémie lors d’une leptospirose ne sont pas univoques : œdème
pulmonaire cardiogénique secondaire à une myocardite ; surcharge
pulmonaire favorisée par l’hypervolémie et l’insuffisance rénale aiguë.
L’hémorragie intra-alvéolaire et le SDRA sont deux des principaux facteurs de
mortalité. L’hémorragie alvéolaire est la plus fréquente mais l’hémoptysie
n’est pas toujours massive. Les lavages bronchoalvéolaires systématiques
révèlent une hémorragie alvéolaire chez tous les patients à symptomatologie
respiratoire et chez 7 patients sur 10 sans symptomatologie respiratoire. La
dernière décennie a vu émerger en Amérique du Sud des formes avec atteinte
pulmonaire plus fréquente et plus forte létalité. Ainsi une forme épidémique de
leptospirose avec prédominance d’hémorragie alvéolaire pouvant ou non coïncider
avec un ictère, était décrite en 1998 au Nicaragua. Au Pérou, le caractère
urbain des cas de leptospirose était associé à des formes pulmonaires sévères.
Dans la ville de Salvador (Brésil), les hémorragies intra-alvéolaires sont
devenues la première cause de décès par leptospirose (55% en 2005) alors
qu’elles n’étaient pas détectées avant 2003. A Sao Paulo, les études
nécropsiques objectivent 72% d’hémorragies alvéolaires. Il n’a pourtant pas été
mis en évidence une association entre sérovars et présentation clinique, à part
en Chine où le sérovar Lai est
associé à des leptospiroses anictériques à hémoptysies fatales. Le risque
potentiel d’émergence d’atteintes respiratoires à forte létalité doit donc être
considéré. A La Réunion, une étude rétrospective focalisée sur les formes
pulmonaires retrouvait un taux élevé de mortalité par rapport à ce qui est
habituellement rapporté dans la littérature, malgré des structures et des soins
adaptés, et fait suspecter l’existence d’une souche locale de virulence
particulière.
La
prise en charge thérapeutique des SDRA graves associe ventilation artificielle
conventionnelle, ventilation non conventionnelle par HFO et assistance
respiratoire (voire circulatoire) par ECMO, techniques réservées à de rares
centre. Actuellement dans l’océan Indien, seul le CHR de La Réunion possède
l’expertise et l’équipement nécessaire. La possibilité d’implanter une ECMO
avant rapprochement vers un centre de référence doit être encouragée.