Méningite à éosinophiles et angiostrongylose aux Comores,
une réalité à ne pas sous-estimer. A propos de six nouveaux cas.
S. Souvignet. Centre
Hospitalier Départemental Félix Guyon. Saint-Denis. Réunion
Observation :
Nous rapportons 6 cas de méningites à éosinophiles diagnostiqués de décembre
2000 à janvier 2005 à Mayotte. Il s’agit de 3 adultes (2 femmes et un homme de
18 à 45 ans) et 3 enfants (2 garçons et une fille de 9 à 11 mois) porteurs
d’angiostrongyloses nerveuses, ou maladie d’Alicata. Le diagnostic a été porté
sur l’examen clinique, la notion d’endémicité et par les sérologies positives
pour Angiostrongylus cantonensis. A l’admission les températures
oscillaient entre 38° et 39, 2°C. On notait des signes digestifs dans 66% des
cas (diarrhée ou douleur abdominale) et des signes neurologiques. Les adultes
présentaient des céphalées (2 cas), une confusion avec incapacité à marcher
avec inversion du nycthémère et paralysie faciale, un strabisme, une
hyperesthésie avec paresthésies. Les enfants présentaient des signes d’entrée
plus importants avec des absences, des pertes de tonus et des parésies diffuses
suivies de coma. La raideur nucale n’a été retrouvée que chez la moitié des
patients.
Au plan biologique, la moitié des
patients présentait une hyponatrémie. Tous les LCR
présentaient une hyperprotéinorachie avec une éosinophilie dans 66,6% des cas.
Les LCR étaient troubles dans 2/3 des cas. L’éosinophilie sanguine était
maximale entre le 10ème et le 14ème jour et concomitante
des signes neurologiques les plus riches. Cinq LCR contenaient plus de 200
éléments avec 20 à 74% d’éosinophiles. Chez les enfants l’éosinophilie
sanguine était supérieure à l’éosinophilie rachidienne. Quatre fonds d’œil réalisés sont normaux.
Les sérologies par
immunofluorescence pour Angiostrongylose Cantonensis sanguines et
céphalo-rachidiennes ont été positives sauf pour une détection rachidienne
réalisée à 48h des manifestations. Les titrages ont été plus élevés chez les
enfants. Les recherches de paludisme, cysticercose, paragonimose, tuberculose,
filariose, trichinose, Lyme, toxocarose, VIH, herpès, syphilis et autres
bactéries étaient négatives.
Différents anti-helminthiques ont
été utilisés à des doses et des fréquences variées, en association ou
seuls : ivermectine, mébendazole, albendazole (associé à la
corticothérapie chez 2 enfants).
La normalité des TDM adultes contraste avec les 3
hydrocéphalies communicantes mises en évidence chez les enfants (2 ont
bénéficié d’une dérivation ventriculo-péritonéale). L’évolution a été favorable,
en 2 mois chez les adultes alors que les enfants présentent tous de lourdes
séquelles : cécité corticale, spasticité, épilepsie, troubles moteurs et
retard d’acquisition sont présents à 6 mois et à 4 ans et demi chez les 2
mahorais. L’enfant comorienne a été perdue de vue.
Discussion
Depuis 70 ans et avec plus de 3000
cas recensés [1], Angiostrongylus
cantonensis est la première cause de méningite à éosinophiles dans le
monde. Le cycle du parasite nécessite 2 hôtes : les hôtes définitifs
ou naturels représentés par les rongeurs (principalement Rattus norvegicus) et les hôtes intermédiaires, les gastéropodes,
souvent représentés par l’escargot géant d’Afrique : Achatina fulica, et les planaires (plathelminthes). Les nématodes
adultes vivent dans les artères pulmonaires du rat qui excrète dans ses selles,
via la trachée, des larves qui pourront infester un hôte intermédiaire durant 2
semaines. L’homme et de nombreux vertébrés sont des impasses parasitaires. Les
voies de contamination sont la consommation des hôtes intermédiaires et
paraténiques crus ou mal cuits, leur manipulation ou l’absorption de salades,
fruits, légumes et même eau de boisson souillés par les hôtes intermédiaires.
Les larves migrent dans le système nerveux central, les muscles, le cœur et les
poumons et meurent sans atteindre leur maturité, occasionnant les différents
symptômes.
L’incubation
de la maladie est de 1 à 45 jours (médianes à 13 jours pour les enfants et 16
jours pour les adultes), puis apparaissent les signes cliniques : fièvre
(33% à 100% des cas), signes cutanés (éruption, prurit) ou digestifs
(diarrhées, vomissements, constipation, douleurs abdominales)[2,3], broncho-pneumopathies à éosinophiles [1].
Les principaux symptômes sont regroupés en 5 classes [2,3] :
- méningé : photophobie,
raideur de nuque inconstante, céphalée.
-méningo-encéphalite :
trouble de l’humeur, de la vigilance, épilepsie, troubles cognitifs, syndrome
pyramidal, rétention urinaire.
- radiculomyélite :
paresthésies/ hyperesthésie du tronc, de la face, des membres
- atteinte des paires
crâniennes : II, III, VI, VII.
- atteinte oculaire :
localisation de larves dans la chambre antérieure, œdème papillaire au fond
d’œil (principalement chez l’enfant), décollement ou hémorragie rétinienne ,
flou visuel et baisse de l’acuité.
Les symptômes s’amendent avant 8
semaines [4]. Toutefois des formes avec séquelles existent dans les 2
catégories d’âges, des décès sont même rapportés. Les enfants ont une évolution
souvent plus grave due à leur taille, à l’immaturité de leur système
immunitaire et au mode d’infestation (forte concentration de larves dans le
manteau des mollusques portés à la bouche.
Au plan des examens
complémentaires, une hyperéosinophilie sanguine est présente dans 2/3 des cas
qui disparaît en 3 mois. Une lymphocytose existe dans le liquide
céphalorachidien (LCR) avec au moins 10 éosinophiles par mm3 ou une
éosinophilie supérieure à 10% [1]. Elle apparaît de façon retardée entre le 25ème
et le 30ème jour ou reste absente dans une moyenne de 30% à 40% des
cas
[2,3,4]. Le LCR est souvent
trouble, hypertendu et la protéinorachie est élevée dans 60% à 100% des cas
[1,2, 3]. La glycorachie reste normale ou
diminue légèrement. Une élévation des IgE est courante, jusqu’à atteindre 100%
des cas. Des hyponatrémies attribuées à un syndrome de sécrétion inappropriée
d’ADH sont décrites. Les électroencéphalogrammes pratiqués n’objectivent pas de
tracés de focalisation.
La radiographie pulmonaire
standard peut montrer des opacités denses à bords flous et des images
segmentaires des champs inférieurs (4,97%). Des
pneumopathies à éosinophiles sont confirmées par des tomodensitométries (TDM)
thoraciques (33% à 78%)[1]. Les TDM cérébrales réalisées précocement sont
normales ou non spécifiques [2], mais, répétées, peuvent objectiver des
hydrocéphalies tri ou tétraventriculaires. L’imagerie par résonance magnétique,
chez 5 patients atteints de méningo-encéphalites, encéphalite et
myéloméningite, met en évidence des images nodulaires cérébrales, cérébelleuses
cerclées d’œdème et des images en bâtonnet dans les leptoméninges rehaussées à l’injection[4]. Ces images sont
également situées dans la substance grise : noyaux gris, corps calleux.
Cependant d’autres manifestations sont signalées : images sous corticales,
périventricuaires, micro cavités (méningo-encéphalites) et ventriculomégalie
(40%). Les résultats seraient corrélés avec l’intensité des céphalées, la
pléïocytose du LCR et l’hyperéosinophilie sanguine mais ne sont pas spécifiques
de cette parasitose.
Le diagnostic différentiel doit
éliminer les autres causes de méningites à éosinophiles : de type malin
(maladie de Hodgkin, lymphome non-Hodgkinien, leucémie à éosinophiles),
médicamenteux (ciprofloxacine, ibuprofen, vancomycine et gentamicine intra
ventriculaire) ou iatrogènes (dérivation ventriculo-péritonéale), infectieuse
(tuberculose, syphilis, maladie de Lyme, coxsackie B4, arénavirus, parasites).
A Mayotte, d’autres affections
neurologiques doivent être éliminées : neuropaludisme (2000 cas de paludisme en
2002), filaire lymphatique à W. bancrofti
(cause rare) et toxoplasmose. Rappelons que 2 autres larva migrans peuvent se
manifester par des méningo-encéphalites : gnathostomiase surtout connue en
Asie du Sud-est et présente en Afrique et la toxocarose. D’autres comme la
paragonimose et l’amibiase cérébrale peuvent être recherchées. La forte
prévalence de l’islam sur l’île n’est pas propice à la neurocysticercose.
Au plan sérologique, plusieurs
techniques sont utilisées. L’immunofluorescence indirecte ou IFI a des
réactions croisées avec de nombreux parasites. La sélection des antigènes pour
des techniques comme le Western Blot (31kDa) et ELISA (204kDa)[1.4] permet de
les supprimer. La précocité des sérologies n’est pas un bon facteur de
sensibilité et les titres sanguins sont plus élevés que ceux du LCR auxquels
ils sont corrélés. La technique ELISA peut être améliorée en utilisant un
procédé mixte appelé «dot-blot ELISA » car elle permet de déterminer
les réactions positives non seulement par réaction colorée mais également par
détection d’antigène 31kDa. Cette méthode est spécifique et sensible a 100% et
est la plus pratique et la moins coûteuse. L’immuno-PCR au cours de laquelle
les antigènes circulants sont capturés par les anticorps monoclonaux puis détectés
par PCR, est aussi une technique d’avenir avec 98% de sensibilité et 100% de
spécificité. Malgré ces progrès, la sérologie, surtout si l’on se contente de
l’IFI, constitue un simple argument de présomption et ses résultats doivent
impérativement être interprétés en association avec les données cliniques et
celles de l’imagerie.
Au plan thérapeutique, il n’existe
pas de consensus hormis les prélèvements répétés de LCR couramment utilisés
pour soulager les céphalées[4]. La corticothérapie pendant 1 à 2 semaines ne
prévient pas les rechutes mais diminue en intensité et en durée les signes
d’hypertension intra crânienne et les réactions allergiques dues à la présence
de larves migrantes ou mortes. Les éosinophiles sont impliqués dans la lutte
contre l’avancée des jeunes larves mais aussi dans la dégradation des tissus,
via les cytokines et la réaction inflammatoire. Ainsi des essais thérapeutiques
ont été menés avec des molécules (GM6001) inhibant des enzymes de dégradation
(MMP-9) ou ayant une action sur le ver (VD99 11, PF 1022A). Le thiabendazole,
l’albendazole, le mébendazole, l’ivermectine, le lévamisole sont efficaces chez
le rat mais sont incriminés dans l’aggravation des symptômes chez l’homme via
la toxicité des larves tuées.
Le
pyrantel et le flubendazole peuvent être utilisé chez l’homme. Certains auteurs
proposent un traitement par interleukine-12 (10ng/j de 6 à 10 jours) associée à
une dose unique de mébendazole (20mg/kg) entre le 4 et 5ème jour
post infection. Il en résulte une diminution de la charge en vers, une chute de
l’activité inflammatoire des éosinophiles et un changement de la réponse
immunitaire de type Th2 en Th1. D’autres utilisent l’albendazole (10mg/kg
durant 7 où 14 jours dès le 5ème jour de l’infestation) pour son
activité larvicide et pour son action contre la peptidase MMP-9. Les auteurs
recommandent une durée de 3 semaines chez l’homme. Enfin d’autres encore
associent l’inhibiteur spécifique de MMP-9, le GM6001, à l’albendazole et
confirment les résultats précédents en précisant la moindre perméabilité de la
barrière hémato-méningée aux protéines de l’inflammation.
Conclusion :
ce travail souligne la différence entre la bénignité des 3 premiers cas adultes
recensés à Mayotte et la gravité des séquelles chez les 3 enfants (1er
décrit cas en Grande Comore). Leur symptomatologie est le résultat de
radiculo-myélo-encéphalites complétées de 3 hydrocéphalies tétraventriculaires
dont 2 ont fait l’objet de dérivations. Angiostrongylus
cantonensis est l’agent hautement probable de cette pathologie dans
l’archipel. Au vu du faible nombre de cas, l’angiostrongylose nerveuse ne
représente pas une priorité de santé publique sur cette île aux lourds
handicaps sanitaires. Bien qu’il n’existe pas de données concernant les hôtes
intermédiaires potentiels, la lutte contre le vecteur naturel, le rat,
permettrait de prévenir l’angiostrongylose mais également la leptospirose.
Bibliographie
1-Wang X, Huang H,
Dong Q, Lin Y, Wang Z, Li F, Nawa Y, Yoshimura K. A clinical study of
eosinophilic meningoencephalitis caused by angiostrongyliasis. Chin Med J. 2002; 115:1312-5
2-Hwang KP, Chen ER. Clinical
studies on angiostrongyliasis cantonensis among children in Taiwan. Southeast
Asian J Trop Med Public Health. 1991; 22 Suppl: 194-9.
3-Punyagupta S, Juttijudata P, Bunnag T. Eosinophilic
meningitis in Thailand. Clinical studies of 484 typical cases probably caused
by Angiostrongylus cantonensis. Am J Trop Med Hyg. 1975; 24:921-31.
4-Slom TJ, Cortese MM, Gerber SI et al. An
outbreak of eosinophilic meningitis caused by Angiostrongylus cantonensis in
travelers returning from the Caribbean. N Engl J Med. 2002; 346: 668-75