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Infection maternelle à chikungunya et mort fœtale in utero

Infection maternelle à chikungunya et mort fœtale in utero

Y.Touret*, H. Randrianaivo**, A.Michault***, I. Schuffenecker#, E. Kauffmann*, Y. Lenglet*, G. Barau*, A. Fourmaintraux**.

* Service de Gynéco-Obstétrique, GHSR, Saint Pierre de la Réunion

** Unité de Foeto-Pathologie, GHSR, Saint Pierre de la Réunion

*** Service de Virologie, GHSR, Saint Pierre de la Réunion

# Centre National de Référence des Arbovirus, Institut Pasteur, Lyon, France

 

Depuis le début de l’épidémie de Chikungunya à la Réunion, des cas de transmission verticale ont été suspectés chez des nouveau-nés, mais à notre connaissance, aucun cas de mort fœtale in utero (MIU) documenté de CHIKV chez l’homme n’a encore été observé. Du premier décembre 2005 au 28 février 2006, soit à l’apogée de l’épidémie, 1370 grossesses étaient en cours dans le bassin sud de la Réunion. Durant cette période, 23 fœtus ont été adressés au laboratoire de Fœtopathologie du GHSR. Il n’y avait aucune notion de Chikungunya pour 16 fœtus. 7 MIU étaient contemporaines d’une infection maternelle à Chikungunya survenue entre 12 et 18 SA. Nous avons recueilli des arguments en faveur d’une transmission verticale du CHIKV chez 3 fœtus, aucun chez 4.

Observations. N° 1. Patiente de 39 ans, CHIK clinique à 12 semaines SA + 4. Le sérodiagnostic IgM anti CHIKV était positif à 14 SA. A 15 SA, date de l’amniocentèse indiquée pour âge maternel, la mort fœtale a été constatée. La RT-PCR CHIKVdans le sang maternel était négative. La RT-PCR était positive dans le LA et les villosités, obtenus par amniocentèse et biopsie avant rupture des membranes. Le fœtus macéré expulsé à 17 SA n’était pas malformé et avait des mensurations correspondant à un terme de 15 SA.

N° 2. Patiente de 36 ans, CHIK clinique à 15 SA et 5 jours. Lors de l’échographie réalisée à 19 SA et 5 jours, la MIU a été constatée. A 20 SA, la sérologie IgM anti CHIKV était positive et la RT-PCR CHIKV sanguine maternelle négative. La RT-PCR était positive dans le LA et les villosités, obtenus par amniocentèse et biopsie avant rupture des membranes. Le fœtus macéré expulsé à 20 SA n’était pas malformé et avait des mensurations correspondant à un terme de 16 SA. La RT-PCR était positive sur la biopsie de cerveau.

N° 3. Patiente de 26 ans, CHIK clinique à 15 SA. La mort MIU a été constatée à 18 SA. A 18 SA, la sérologie IgM anti CHIKV maternelle était positive. La RT-PCR CHIKV était positive sur le LA prélevé avant rupture des membranes. Le fœtus macéré expulsé à 19 SA n’était pas malformé et avait des mensurations correspondant à un terme de 15 SA. La RT-PCR était positive sur la biopsie de cerveau.

Les infections bactériennes et les autres infections virales (Herpès, CMV, Parvovirus) ont été éliminées dans les 3 observations.

Commentaires. Des transmissions verticales ont été décrites lors d’infections par d’autres arbovirus : en 2002, aux Etats-Unis avec le West Nile Virus (WNV), du groupe des flavivirus1 ; auparavant en 1953 et 1959 avec le Western Equine Encephalitis Virus (WEEV), du groupe des alphavirus2,3. La littérature vétérinaire rapporte également des infections trans-placentaires par le virus Getah, autre alphavirus4,5,6. Ces données de la littérature rendent plausible une transmission verticale du CHIKV.

Nos trois observations seraient les premières.

Une étiologie malformative a été exclue lors de l’examen fœto-pathologique. Aucune autre cause virale ou bactérienne n’a été trouvée. Seuls les caryotypes n’ont pas été réalisés. On sait que des fièvres maternelles élevées peuvent être létales, ce qui n’est donc pas totalement exclu dans nos observations, malgré la présence du CHIKV.

Le génome du CHIKV a été trouvé dans le liquide amniotique et dans le placenta alors qu’il n’était plus détectable dans le sang maternel, ce qui exclut une contamination. La présence de particules virales sur le placenta et dans le liquide amniotique confirme la transmission verticale du CHIKV. La présence du CHIKV dans le liquide amniotique est peut-être due à une excrétion urinaire du virus par le fœtus infecté. Sa persistance dans le liquide amniotique et les tissus fœtaux après la MIU est peut-être expliquée par le fait que les IgM ne traversent pas le placenta et que la mort fœtale a empêché la production d’IgM fœtales neutralisantes. Les précautions prises lors du prélèvement du cerveau fœtal macéré rendent la contamination par le liquide amniotique peu probable.

Conclusion. Les trois observations que nous rapportons prouvent la transmission trans-placentaire du CHIKV. L’imputabilité du CHIKV dans la responsabilité de la MIU est très vraisemblable. Elle pourrait être confirmée, soit par la répétition de telles observations, soit par la mise en évidence intracellulaire du virus dans des tissus fœtaux bien conservés.

 

Références

 

  1. Centers for Disease control and Prevention (CDC) Intrauterine West Nile virus infection – New York, 2002. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2002 Dec 20 ;51(50) :1135-6
  2. Shinefeld HR, Townsend TE. Transplacental transmission of western equine encephalomyelitis. J Pediatr. 1953;43:21-25.
  3. Copps SC, Giddings LE. Transplacental transmission of western equine encephalitis. Pediatrics. 1959; 24:31-33.
  4. Asai T, Shibata I, Uruno K. Susceptibility of pregnant hamster, guinea pig, and rabbit to the transplacental infection of Getah virus. J Vet Med Scie. 1991 Dec;53(6):1109-11
  5. Shibata I, Hatano Y, Nishimura M, Suzuki G, Inaba Y. Isolation of Getah virus from dead fetuses extracted from a naturally infected sow in Japan. Vet Microbiol. 1991 May;27(3-4):385-91
  6. Kumanomido T, Wada R, Kanemaru T, Kamada M, Akiyama Y, Matumoto M. Transplacental infection in mice inoculated with Getah virus. Vet Microbiol. 1988 Feb;16(2):129-36