Trichosporonose disséminée fatale : à
propos de 2 observations à La Réunion
R. Berthezène1,
Y. Lefort1, S. Champion1, D. Vandroux1, MC
Jaffar-Bandjee2, B-A Gaüzère1
1Service de
réanimation polyvalente, 2service de biologie. CHR de La Réunion.
97405 Saint-Denis Réunion.
Patients
M. An….,
44 ans est admis pour un choc septique avec ictère et douleurs abdominales. Il
est porteur d’une pancréatite chronique et d’une épilepsie dans un contexte
d'alcoolisme avec cirrhose hépatique probable. Le bilan initial montre : une
hypoxémie sans hypercapnie, un syndrome inflammatoire (GB 21500 giga/l, CRP
153), une cytolyse (4N) avec cholestase ictérique et insuffisance hépatique (TP
40%, Facteur V 54%), une insuffisance rénale aiguë (urée 32 mmol/l,
créatininémie 260 µmol/l), une thrombopénie à 75000 gigas/l. Le scanner initial
montre une stéatose hépatique, une pancréatite aiguë avec coulée de la
gouttière pariéto-colique droite et dans le cul de sac de Douglas, l’absence de dilatation des voies
biliaires, une pneumopathie bilatérale avec épanchement pleural gauche.
L’évolution se complique à J2 par l’apparition d’un syndrome de détresse
respiratoire avec collapsus. Une antibiothérapie probabiliste (pipéracilline-tazobactam)
est débutée. A J13,
nouvelle aggravation hémodynamique avec recours à noradrenaline, terlipressine et albumine et à l’épuration
extra-rénale. Une septicémie à Klebsiella oxytoca et à levures nécessite
le recours à l’imipeneme et à la caspofungine. Secondairement
l’identification de Trichosporon asahii nécessite l'introduction d’amphotéricine
B (1 mg/kg) et de fluconazole
(800 mg.j). Décès à J24
dans un contexte de défaillance multiviscérale et hépatique sévère (TP=28%).
Mme M…37 ans est admise pour
détresse respiratoire aiguë fébrile compliquant une aplasie dite idiopathique
(GB=0,09 giga/l) évoluant depuis 45 jours mois et traitée par sérum
anti-lymphocytaire puis ciclosporine. L’examen retrouve un ictère, une lésion
vulvaire circulaire ulcérée, peu inflammatoire, à bords nets et fond fibrineux.
Le bilan
initial montre une hypoxémie (PaO² 52 mmHg sous 11 L/mn d’oxygène), une
hépatite cytolytique et cholestatique avec insuffisance hépatique (TP=39%,
facteur V 60%), une thrombopénie sans anémie et une insuffisance rénale aiguë.
L'échographie hépatique montre une hépatomégalie sans dilatation des voies
biliaires, une vésicule atrophique à parois épaissies et des veines hépatiques
perméables. La fibroscopie bronchique révèle une hémorragie intra alvéolaire
bilatérale massive. L’évolution dans le service est marquée à J2 par un choc
septique sévère nécessitant le recours à la dobutamine et à la noradrénaline.
Un traitement à base de caspofungine est associé à la triple antibiothérapie
probabiliste à large spectre (pipéracilline-tazobactam, vancomycine et
amikacine). Le décès survient à J4 dans un tableau de choc septique non
contrôlé par les amines, l’épuration extra-rénale continue et la ventilation
sous monoxyde d’azote. Identification
post mortem de Trichosporon asahii sur trois hémocultures.
Discussion
Trichosporon asahii est un
hétérobasidiomycète de l'ordre des Filobasidiales de la famille des
Filobasidiaceae. Les levures du genre Trichosporon sont saprophytes du sol et
de l'eau et de la flore commensale de l'homme, au niveau de la peau, des
muqueuses et des ongles. Elles sont à l’origine d'intertrigos, d'onyxis et de
Piedra blanche de la
barbe et des cheveux. Les espèces pathogènes pour l'homme sont au nombre
de 7 : Tr.
mucoïdes, Tr. asahii, Tr. inkin, Tr. asteroïdes, Tr. cutaneum, Tr. ovoïdes et
Tr. filamenta). Le passage de l'état commensal à l'état pathogène
est favorisé par l'humidité, la chaleur, le manque d'hygiène (surinfection de dermatoses des
pieds), les altérations de la flore cutanée et l'immunodépression. Trichosporon
asahii est un agent pathogène émergent chez les patients
immunodéficients et sa présence chez eux ne peut être considérée comme un
colonisation, dans la mesure où le risque d’infection invasive est important.
Après prélèvement sur des lésions cutanées, des phanères, ou
par hémocultures ou biopsies,
le diagnostic repose sur un isolement sur milieu gélosé de
Sabouraud-chloramphénicol-cycloheximide qui montre des microcolonies radiaires
faites de filaments cloisonnés de diamètre régulier (coloration au PAS ou au
Gomori-Grocott).
Les trois espèces poussant à plus de
37°C (Tr. mucoïdes, Tr. asahii et
Tr. Inki) peuvent donner
des infections systémiques par dissémination hématogène. Tous les organes
peuvent être touchés et des métastases cutanées (nodules purpuriques avec
ulcérations centrales) peuvent accompagner la septicémie.
La plupart
des trichosporonoses disséminées surviennent sur des terrains immunodéprimés et
leur pronostic est réputé fatal chez les patients porteurs d’hémopathies
malignes avec neutropénie. Elles peuvent également survenir au cours d’un
traitement antifongique, nécessitant alors le changement d’antifongique. A la
différence de la patiente 2, qui présentait comme facteurs favorisant une
aplasie idiopathique et un traitement immunodépresseur, le patient 1, hormis
une probable cirrhose sans documentation histologique, n’était pas
immunodéprimé. La trichosporonose chez des patients immunocompétents est rare,
mais a déjà été rapportée. Le traitement repose sur l’association amphotéricine
B et fluconazole par voie veineuse ou sur le voriconazole. La caspofongine est
inefficace.
Conclusion. Les
trichosporonoses ne s’observent pas uniquement en milieu tropical et doivent
être évoquées chez les patients fébriles neutropéniques, ictériques, et
porteurs de lésions cutanées, dans un contexte d’hémopathie, même traités
préventivement par antifongiques. Il s’agit des premiers cas rapportés à La
Réunion.