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Une ulcération cutanée du membre supérieur au retour de Guyane

Une ulcération cutanée du membre supérieur au retour de Guyane.

Borlot J., Borgherini G., Foucher A., Poubeau P.

Service de maladies infectieuses, CHR de La Réunion, site Groupe Hospitalier Sud Réunion, 97400 Saint-Pierre, La Réunion. (jeromeborlot@yahoo.fr)

 

Contexte : Une femme de 37ans, sans antécédents et vivant en France, consulte à la Réunion où elle est en vacances, pour une ulcération cutanée d’évolution subaiguë, non améliorée par plusieurs traitements antibiotiques. L’interrogatoire retrouve un séjour d’un mois en lisière de forêt à St Laurent du Maroni (Guyane Française) en janvier 2010, puis un séjour en Nouvelle-Zélande et en Australie en février-mars 2010. Elle décrit l’apparition fin février d’une lésion papuleuse indolore, non prurigineuse au tiers inférieur de la face externe du bras droit, évoluant vers l’ulcération à J10, sans fièvre ni altération de l’état général. Un premier médecin consulté en Australie début mars prescrit une antibiothérapie de 3 semaines sans effet. Un second médecin consulté à La Réunion le 26 avril prescrit une nouvelle antibiothérapie et des AINS, sans plus d’effet. Apparaissent alors plusieurs lésions nodulaires satellites, indolores, non inflammatoires, le long du bras droit. L’examen clinique retrouve une lésion ulcérée ovalaire de 2 cm sur 1cm, à la face externe du bras droit au dessus de l’articulation du coude, à fond bourgeonnant, recouvert d’un enduit séro-purulent, à bords surélevés, et la présence de 8 nodules sous-cutanés, fermes, sensibles, de disposition centripète le long de la face tricipitale du bras droit, dont un recouvert d’une papule érythémateuse. On note l’absence de fièvre, de signes généraux, et l’absence de syndrome inflammatoire biologique.

L’examen parasitologique direct sur produit de raclage en périphérie de la lésion et la coloration au MGG montre des éléments parasitaires ovoïdaux intra et extracellulaires compatibles avec des formes amastigotes de leishmania. La biopsie cutanée réalisée en périphérie de la lésion (à cheval sur le bourrelet périphérique) montre un infiltrat inflammatoire non spécifique, mais pas de corps leishmaniens dans les histiocytes. La PCR sur prélèvement biopsique revient positive pour Leishmania guyanensis.

Le diagnostic retenu est une leishmaniose cutanée avec lymphangite leishmanienne. La patiente est traitée selon le protocole actuellement utilisé en Guyane, et reçoit deux injections de pentamidine par voie IM à la dose de 4mg/kg de pentamidine-base (soit 7mg/kg de Pentacarinat®), espacées de 48h (J1 et J3), en ambulatoire, avec surveillance hospitalière pendant une heure après chaque injection, sous contrôle de la TA, ECG, glycémie, créatinine, NFS, transaminases, lipasémie, CPK (risque de réactions anaphylactiques immédiates et de toxicité hématologique, rénale, hépatique, pancréatique, cardiaque, musculaire). Ici aucun problème de tolérance n’a été rapporté.

Une évaluation est faite à 6 semaines qui montre une bonne cicatrisation de l’ulcération. Devant quitter la Réunion, la patiente est ensuite adressée à un infectiologue en métropole.

Une deuxième cure aux mêmes doses est préconisée en cas d’échec : aggravation, lésions multiples, dissémination intradermique ou lymphangitique, lésion unique avec persistance de corps leishmaniens au frottis. En cas d’échec après deux cures, on utilise les dérivés pentavalents de l’antimoine, antimoniate de méglumine par voie IM à la dose de 20mg/kg/j pendant 20 jours, sous surveillance (risque de réactions anaphylactiques en début de cure, et de stibio-intoxication ou surcharge en fin de cure).

Discussion : Il n’existe pas de leishmaniose endémique dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien où cette pathologie est strictement d’importation. La leishmaniose cutanée reste un piège diagnostique fréquent en dermatologie tropicale, à évoquer devant toute lésion ulcéro-croûteuse,  placard érythémato-squameux ou ulcéro-croûteux d’évolution centrifuge, lymphangite nodulaire (lésions nodulaires, ulcéro-croûteuses non inflammatoires étagées le long d’un trajet lymphatique), et par extension devant toute lésion cutanée (papule, nodule, végétation, tuméfaction) indolore, non inflammatoire, en zone découverte, non améliorée par les antibiotiques, d’évolution subaigüe ou chronique, au retour d’une zone d’endémie.

Rappel : Les leishmanies sont des protozoaires flagellés transmis par le phlébotome femelle, diptère de petite taille passant à travers les mailles des moustiquaires, piquant la nuit. On distingue trois grandes formes cliniques : leishmaniose viscérale ou Kala-Azar, leishmaniose cutanée et cutanéo-muqueuse. On distingue en ce qui concerne la leishmaniose cutanée des formes dites de l’ancien monde : L. major (Asie centrale, Moyen Orient, Maghreb, Afrique noire), espèce principalement en cause, L. infantum (Méditerranée, Moyen orient, Asie centrale), tropica (Asie centrale, Méditerranée orientale, Maghreb, Ethiopie), donovani (sous-continent indien), aethiopica (Afrique de l’est) ; et des formes dites du nouveau monde : L. braziliensis, guyanensis, panamensis, mexicana…

Géographiquement on observe plutôt des formes « humides »à tendance ulcérative dans les régions tropicales chaudes et humides, et des formes « sèches » d’aspect érythémato-squameux dans les régions sèches du globe.

L’espèce L. guyanensis retrouvée dans notre observation peut occasionner un tableau clinique particulier appelé « pian bois » : apparition d’une lésion principale (« mamma pian ») et 15 à 30 jours après de lésions secondaires satellites (« petits pians »).

La leishmaniose cutanée est une affection peu grave chez l’immunocompétent mais il existe des formes évolutives à ne pas méconnaître : évolution vers la leishmaniose muqueuse (L.braziliensis, L. panamensis 1 à 3%, L. aethiopica, plus rarement L. donovani, L. infantum, L. guyanensis (chez l’immunodéprimé) avec des métastases muqueuses de la sphère ORL, et une évolution mutilante à type de perforation nasale, destruction du massif centro-facial (espundia). Elle est toujours précédée d’une forme cutanée pure, non ou insuffisamment traitée (délai moyen 6 à 30 ans) ; la coexistence avec une forme cutanée est observée dans 15% des cas (leishmaniose cutanéo-muqueuse).

Chez les patients infectés par le VIH/SIDA, on peut observer des lésions cutanées profuses et polymorphes, et une évolution plus fréquente vers la forme muqueuse, y compris pour L. guyanensis.

Le diagnostic différentiel se pose avec de nombreuses affections : impétigo, ecthyma, tréponématoses, mycobactéries, noma, charbon (formes nodulaires, ulcéro-croûteuses), sarcoïdose, lupus discoïde ou tuberculeux, lèpre, tuberculose cutanée (formes érythémato-sqameuses), sporotrichose, mycobactéries atypiques, nocardiose, tularémie (lymphangites nodulaires), pian, chromoblastomycose, carcinome spinocellulaire, tuberculose (formes végétantes). En présence d’une leishmaniose cutanée avec lymphangite inflammatoire et fébrile, il faut toujours rechercher une surinfection bactérienne et discuter un traitement antibiotique.

Conclusion : La leishmaniose cutanée est une pathologie en recrudescence, à connaître et à évoquer devant des lésions cutanées d’évolution subaiguë, non améliorées par les antibiotiques, au retour d’une zone d’endémie. Bénigne chez l’immunocompétent, elle occasionne des formes diffuses chez l’immunodéprimé. Son traitement est complexe, avec de nombreux effets secondaires et nécessite une surveillance rapprochée. La prévention repose sur la lutte anti-vectorielle : répulsifs, vêtements longs et couvrants.